dimanche 9 septembre 1990

 

Rencontre Bush - Gorbatchev à Helsinki. La presse soviétique reste sceptique.
Jamais un sommet organisé avec une telle hâte n'aura abouti à des résultats aussi importants pour l'avenir de la paix dans le monde. En 6 h de tête-à-tête à Helsinki, en Finlande, George Bush et Mikhaïl Gorbatchev ont réussi à sceller une unité impensable il y a quelques mois. Le porte-parole de Bush a affirmé à la presse : "Nous sommes unis". Celui de Gorbatchev a assuré que le président soviétique est "très optimiste" et il a ajouté : "La rencontre s’est déroulée dans une atmosphère très optimiste et constructive." Quant au conseiller du président américain sur les affaires de sécurité nationale il a précisé : "Je pense que nous avons mis au point une stratégie qui a une bonne chance de réussir sans un recours à la force militaire." "Nous sommes unis dans la conviction que l'agression de l'Irak ne doit pas être tolérée", souligne le communiqué commun, malgré la "divergence sur le recours à la force". En effet, Gorbatchev s'est opposé à une action militaire "aux conséquences imprévisibles" contre l'Irak. Pourtant, l'enjeu était énorme : l'annexion du Koweït par l'Irak, allié de Moscou, aurait pu déclencher un conflit entre les 2 Grands dans le Golfe. L'Irak devra désormais tenir compte du nouvel axe Washington-Moscou. Cette position commune des 2 Grands dans une crise régionale est historique ! Cependant, le quotidien soviétique Pravda n'en est pas convaincu. Il met en doute d le désintéressement des USA dans le conflit du Golfe et se demande "jusqu’où" l’URSS est prête à suivre Washington. "Sommes nous réellement aujourd’hui du même côté de la barricade ? Les USA sont-ils à ce point désintéressés dans ce conflit, comme nous le répètent certains de nos propres commentateurs internationaux ? Bien sûr que non. Les USA ont leurs intérêts stratégiques", explique la Pravda rappelant le "syndrome de la crise du pétrole qui fait prendre les armes aux USA, bien que ce réflexe soit assez habituel" chez les Américains. Après avoir noté la "permanence des liens entre Washington et Tel-Aviv qui occupe les terres arabes", le journal estime qu’il existe aujourd’hui "des choses plus importantes qui permettent d’être du même côté des barricades. L’agression de l’Irak contre le Koweït est un défi à tout un système de rapports internationaux nés après la fin de la guerre froide (...). Ce système est encore fragile (...) et tout le monde est loin d’être convaincu que l’URSS et les USA sont effectivement capables de coopérer à l’instauration d’un nouvel ordre international où la force de la politique, et non la politique de la force, dicterait ses conditions. C’est pour cela que la rencontre d’Helsinki est si importante. Les bases de ce nouvel ordre international vont être jetées (...). Il s’agira aussi de savoir jusqu’où nous sommes prêts à suivre Washington", conclut Pravda.

Manifestations anti-américaines au Yemen.
Des dizaines de milliers de personnes manifestent à Sanaa, en soutien à l’Irak, avant de remettre aux ambassades des USA et d’URSS des motions appelant notamment leurs dirigeants à "adopter une attitude positive" à l’égard de la crise du Golfe. La manifestation était organisée par le "haut comité populaire yéménite de soutien à l’Irak et à la nation arabe", composé de plusieurs personnalités politiques de tous horizons, qui avait, la veille, exhorté l’URSS à "ne pas laisser la voie libre aux Etats-Unis dans le Golfe" et à "favoriser une solution pacifique" de la crise. Les manifestants brandissaient des banderoles portant des slogans hostiles au déploiement des forces étrangères sur "les territoires sacrés de l’islam".

Visite officielle (et historique) de Tarek Aziz à Téhéran.
Le Conseil suprême de sécurité nationale, la plus haute autorité politique en Iran, s’est réuni hier, sous la présidence du chef de l’Etat Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani, pour examiner "les relations futures entre l’Iran et l’Irak, ainsi que les conséquences d’un conflit militaire dans la région", a annoncé Radio-Téhéran. Il a aussi étudié "les solutions politiques possibles pour prévenir un conflit dans la région" du Golfe. Le Conseil a souligné "la nécessité de sauvegarder l’indépendance et l’intégrité territoriale des pays du Golfe persique et l’état actuel de la géographie (politique) de la région". Selon la radio, "des décisions appropriées" ont été prises à l’issue de cette réunion. Aujourd'hui, 10 ans après le début d'une guerre qui a fait au moins un million de morts, un ministre irakien a foulé le sol iranien. Tarek Aziz a dû patienter un quart d'heure dans son avion, immobilisé sur le tarmac brûlant de l'aéroport de Téhéran, avant d'être accueilli par son homologue iranien, Ali Akbar Velayati. Cette discrète arrivée n'en est pas moins historique puisqu'elle marque la fin d'un des conflits les plus sanglants du siècle. Bagdad, dont l'invasion du Koweït a suscité un tollé dans le monde entier, avait bien besoin de ce nouvel allié...

Interview de James Baker sur CBS : une solution pacifique est préférable.
"Il existe beaucoup de soutiens" pour l’emploi de la force militaire, déclare le secrétaire d'Etat américain sur la télévision américaine CBS. James Baker répond à une question sur les entretiens qu’il a eus dans plusieurs capitales arabes à la veille du sommet d’Helsinki. Le chef de la diplomatie américaine rappelle qu’au cours de la conférence de presse donnée aujourd'hui à Helsinki, George Bush a répété qu’une solution pacifique restait préférable. "Rien ne peut ou ne doit être écarté", ajoute cependant Baker.

Les premiers effets de l'embargo à Bagdad.
Le pain déjà rationné commence à manquer. On n’en sert plus ou presque plus dans les restaurants. Les queues pour le pain et la farine s’allongent. La viande est retirée peu à peu des menus. "Ordre du gouvernement", explique-t-on dans les restaurants. Le riz, le sucre, le thé et autre nourriture traditionnelles sont rationnés ; on ne trouve plus de lait en poudre pour les bébés. Même durant la guerre avec l’Iran, on n’avait pas eu à subir ici ce début de privations. Toutefois, les rations prévues sont suffisantes pour nourrir les familles. Et dans certains quartiers, on vend même encore sans tickets les produits réglementés. Les prix ont fait un bond dans les magasins du secteur privé, mais les boutiques du secteur nationalisé vendent aux prix garantis par l’Etat. Ceux qui en ont les moyens ont déjà constitué, dit-on, d’énormes réserves. La rumeur de la rue court que l’eau va être coupée pour 4 jours, faute de produits chimiques importés pour en assurer la purification. On remplit les casseroles, les baignoires en vue d’attendre des jours meilleurs. Ce sont les premiers effets de l’embargo dans un pays où les réserves sont, semble-t-il, envoyées en priorité aux millions de soldats mobilisés depuis que les marines s’installent dans le désert d’Arabie Saoudite. Les hommes ont été rappelés jusqu’à la classe 1953. Les plus âgés ont donc déjà des années de combat sur la frontière avec l’Iran. Seuls les étudiants qui rentrent le 1er octobre sont exemptés. On ne sait rien de ce qui se passe sur le front près de la frontière saoudienne où sont stationnées plusieurs divisions irakiennes. Même lorsque les journalistes demandent à se rendre à Bassorah, près de la frontière du Koweït, on leur répond que c’est impossible...

Le désespoir des Indiens, des Pakistanais et des Egyptiens expulsés du Koweït.
A l’aéroport international d'Amman (Jordanie), sur l’esplanade de béton qui sépare le hall des arrivées de celui des départs, des milliers d’hommes attendent en file, d’énormes ballots plus ou moins bien ficelés rangés autour d’eux. Certains sont couchés à même le sol, d’autres accablés de fatigue. "Cela fait bientôt 24 h que j’attends ici, explique un jeune Indien expulsé du Koweït après son annexion par l'Irak. Nous devons être à peu près 4.000 dans ce cas. Nous n’avons rien eu à boire ni à manger depuis hier". Tous sont Indiens, chassés par l’invasion du Koweit où ils travaillaient, certains depuis une dizaine d’années. "On nous traite comme des chiens. Moins bien que des chiens même", ajoute, fou de colère, un vieil homme. "Notre ambassade ne s’occupe pas de nous. On nous a donné un billet d’avion, un passeport, c’est tout. Impossible de changer le peu de monnaie koweitienne que nous avions. Nous ne pouvons rien acheter. Si notre gouvernement n’a pas les moyens de s’occuper de nous, au moins que les organisations internationales, l'ONU, le fassent. Et les Américains ? Ils ont des avions pour transporter leurs GIs, mais nous, on nous laisse crever." "Les Irakiens nous ont tout pris, indique un autre homme. Eux aussi nous ont traités comme des chiens. Au bout de quelques semaines nous ne trouvions plus rien à manger à Koweit. Nous n’avions plus de travail et nous avions peur." Tous veulent dire leur indignation, appeler au secours. La plupart ont quitté Koweit aux environs du 20 août. Rien n’indique qu’ils pourront partir aujourd’hui. Seule consolation, les femmes et les enfants ont pu s’en aller hier. A l’intérieur de l’aérogare, le spectacle est tout aussi navrant. Encore beaucoup d’Indiens mais aussi des Egyptiens et des Pakistanais. Ceux-là ont eu plus de chance : ils ne sont que 500 et sont arrivés de Bagdad voici seulement 2 jours. Tous espèrent partir dans les deux avions affichés au tableau des départs. "Maintenant il ne reste plus que les Koweitiens qui ne sortent que pour se procurer de la nourriture dans des coopératives, contre des jetons, explique un Pakistanais. Mais nous, les immigrés, n’y avions pas accès." A l'extérieur, d’autres bus arrivent, bondés, le toit surchargé de colis et de valises. D’autres hommes épuisés en descendent, l’air hagard. Quand le service d’ordre les dirige vers les files qui s’étirent sous le soleil, des cris de protestation s’élèvent, des poings se dressent vers le ciel. Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’une émeute éclate...

Envoi de renforts militaires français en Arabie Saoudite.
La France franchit un nouveau pas dans la "logique de guerre" avec l’arrivée d’un contingent d’une centaine d’hommes en Arabie Saoudite. L’envoi de ce "détachement précurseur a été annoncé par le porte-parole de l’Elysée le 27 août dernier, au moment même où députés et sénateurs étaient réunis pour débattre de la situation dans le Golfe. 4 avions de transport Transall C-160 et 2 Hercules C-130 ont été mobilisés pour l’opération. Hommes et matériels ont été embarqués à leur bord sur la base d’Etain, près de Verdun, où est stationné le 3ème RHC qui a fourni le gros du détachement. Le 4ème RHCM de Phalsbourg (Moselle) a également été mis à contribution. Au total, 55 pilotes et mécaniciens se sont envolés pour l’Arabie Saoudite. 45 hommes appartenant au 1er RI de Sarrebourg (unité de fantassins héliportés appartenant à la Force d’Action Rapide) les accompagnent. 4 hélicoptères de combat Gazelle et 2 hélicoptères de transport Puma ont été démontés pour être embarqués à bord des Transall. Par ailleurs, un Boeing 747 cargo décolle de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle avec une quinzaine de jeeps et de camions ainsi qu’un lot de pièces de rechange. Ce détachement doit être stationné à Yanbu (Arabie Saoudite). Sa mission va consister à aménager une base susceptible d’accueillir un régiment d’hélicoptères de combat qui pourrait être le 5ème RHC de Pau embarqué à bord du Clemenceau.

Conférence de presse de George Bush et Mikhaïl Gorbatchev.
Certaines réponses aux questions posées par la presse internationale, une phrase contenue dans le document final (les USA et l’URSS se déclarent "prêts le cas échéant à envisager dans le cadre de l'ONU des mesures supplémentaire" contre l’Irak) et la petite phrase du président américain commentant précisément ces "mesures supplémentaires" en ces termes : "je ne compte pas parler de ce que je vais faire", laissent planer l’inquiétude concernant un conflit dans le Golfe. Bush prétend qu’il est partisan "d’une solution pacifique" entraînant l’Irak à "appliquer les résolutions de l’ONU". Gorbatchev estime de son côté : "Nous sommes engagés dans la bonne voie, pacifique". Quand les troupes US vont-elles quitter le Golfe, demande-t-on à Bush. "Elles resteront dans cette zone tant que le besoin s’en fera sentir en matière de sécurité", répond-il, en ajoutant qu’il ne les maintiendra pas "un jour de plus que nécessaire". Gorbatchev prend aussitôt la parole pour indiquer qu’il "confirme" ce que vient de dire son voisin de table et assure que "les USA n’ont pas l’intention de maintenir leurs troupes" dans cette région. Le président de l’URSS indique à propos des conseillers militaires soviétiques actuellement en poste en Irak qu’ils "accomplissent une mission" et quittent ce pays "au fur et à mesure de l’expiration de leur contrat". Les 2 chefs d’Etat affirment qu’ils n’ont pas discuté "d’option militaire" dans le Golfe mais seulement de "solutions pacifiques". On demande alors à "Gorby" s’il envisage une participation militaire de l’URSS aux opérations en cours. Moment de silence puis cette réponse : "Dans la situation actuelle, je ne vois pas l’intérêt de répondre à cette question". Bush enchaîne : "Je ne suis pas déçu d’une telle réponse". Gorbatchev est ensuite interrogé sur les relations de l’URSS avec l’Irak et sur la lettre ouverte de Saddam Hussein. Le Soviétique "ose espérer" que le président irakien "fera preuve de retenue, tiendra compte de la situation et répondra aux appels de l’opinion internationale". Il affirme : "Personne n’a l’intention d’exclure l’Irak de la communauté internationale" et ajoute : "Ce que fait aujourd’hui l’Irak le conduit dans une impasse". Gorbatchev indique que Moscou "tente de discuter avec Saddam Hussein. C’est un dialogue difficile qu’il faut poursuivre". Il souligne une nouvelle fois la nécessité de "régler pacifiquement la situation". La crise du Golfe est-elle liée à l’ensemble des problèmes du Proche-Orient ? Et pourquoi certaines résolutions de l’ONU concernant le sort du peuple palestinien ne sont-elles pas appliquées ? Pour Bush, le lien n’existe pas. Pour Gorbatchev, "tout ce qui touche au Proche-Orient nous préoccupe et il y a un lien entre le conflit dans le Golfe et le reste". Mais il n’évoque pas la perspective d’une conférence internationale sur le Proche-Orient pourtant réactivée il y a quelques jours par son ministre des Affaires Etrangères, Edouard Chévardnadzé. Enfin l'Américain estime que "la remarquable coopération" de l’URSS dans la crise du Golfe le pousse "à recommander une étroite coopération dans le domaine économique". Et il annonce saisir le Congrès à ce sujet "aussitôt que possible". Après avoir passé 6h avec le président américain, Gorbatchev a tenu à dire qu’entre lui et Bush n’existent que de "petites divergences" et qu’on ne peut être d’accord sur tout "à 100 %".

En bref :
   

Plusieurs soldats irakiens blessés lors d'affrontements sont admis dans un hôpital de koweït-City. L'un d'eux, un officier, décède des suites de ses blessures. 5 employés administratifs koweïtiens de l'hôpital sont alignés et abattus à titre de représailles. Les militaires irakiens accusent en effet l'hôpital de négligence.

Les délégués d’une association d’étudiants se rend à l’ambassade de France pour protester contre les mesures prises à Paris envers des étudiants irakiens, empêchés de poursuivre leurs études.

Ils ont dit :
   

Jacques Chirac, maire de Paris : "On parle beaucoup de guerre actuellement. Les guerres, il faut pouvoir et savoir les faire, mais il faut savoir que c’est la pire des solutions. Elle est porteuse de mort, de misère, d’incertitude. Nous ne pouvons en aucun cas admettre que cela soit la seule solution."
Charles Pasqua, ancien ministre français de l'Intérieur, juge que Mitterrand ne doit "pas seulement s’abriter derrière l’ONU" mais que la France doit "prendre des initiatives". Et d'ajouter : "Compte-tenu des relations privilégiées de la France dans le monde arabe, je ne comprends pas que le président n’ait pas eu l’idée d’engager lui-même une médiation" (Télévision française TF1).
Pierre Mauroy, chef du Parti socialiste français : "Le dictateur de Bagdad doit rendre gorge en évacuant le Koweit et en libérant les otages". Mais d'ajouter à propos des USA : "On ne va pas accepter d’être dirigés par un shérif" (Radio française Europe 1).

 

 

Chronologie des événements - septembre 1990

Alors que l'ONU tente des médiations à Bagdad, l'Irak libère plusieurs centaines d'otages.
Partout dans le monde, l'opposition à Saddam Hussein grandit. L'URSS soutient les Américains et manoeuvre pour la paix.

USA et URSS s'unissent contre l'Irak. Les pays du Golfe mettent la main à la poche, la France lance l'opération Busiris aux Emirats Arabes Unis et le Sénégal se joint à la coalition internationale.
Pour contrer la coalition, l'Irak se trouve un allié : l'Iran.
A Koweït-City, l'armée irakienne pille les ambassades de France, du Canada, des Pays-Bas et de Belgique.En réponse, la France lance l'opération Daguet et le Canada envoie des avions de guerre en Arabie Saoudite...

Au Koweït, les ambassades ferment les unes après les autres. Les Koweïtiens franchissent par milliers la frontière koweïto-saoudienne réouverte.
Venus d'Egypte, d'Italie ou d'Argentine, les soldats débarquent par centaines en Arabie Saoudite.

Les hommes de Daguet partent pour le Golfe devant des dizaines de journalistes. De son côté, le Clem atteint les eaux saoudiennes.
Devant les Nations Unies, Mitterrand prêche la paix. L'Irak est satisfait, pas les Etats-Unis... Après maintes tergiversations, l'URSS renonce finalement à envoyer des troupes dans le Golfe.
Désormais, le baril de pétrole s'échange à 41 $ à la bourse de Tokyo. Un record !

 

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Accord USA - URSS sur le Golfe (26 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 9 septembre 1990