dimanche 30 septembre 1990

 

La nourriture des otages occidentaux en Irak est rationnée.
"Le système des cartes de rationnement" requises pour l’approvisionnement en produits de base, "s’applique sans discrimination aux Irakiens, aux Arabes, aux diplomates, aux étrangers et aux invités de l’Irak", c’est-à-dire aux otages, déclare Mehdi Saleh, ministre irakien du Commerce. "Aucune instruction n’a été donnée pour priver les ressortissants étrangers des cartes de rationnement, comme le prétendent certains médias hostiles", ajoute-t-il, soulignant que les étrangers ont droit aux "mêmes quantités de nourriture" que les Irakiens. Les produits dont il est question sont la farine, le riz, l’huile, le thé, le sucre, les féculents, le lait pour nourrissons, le savon et la poudre de lessive. Selon une rumeur datant du mercredi 26, Bagdad aurait informé le Comité International de la Croix Rouge qu’il lui était impossible d’approvisionner en vivres les étrangers, à partir du 1er octobre, en raison de l’embargo économique international qui le frappe. Le CICR avait immédiatement démenti cette nouvelle tout en reconnaissant avoir été informé par l’Irak de "difficultés d’approvisionnement en nourriture de ressortissants étrangers stationnant sur son territoire". Mehdi Saleh fait allusion à ces difficultés en indiquant que certains pays étrangers ont envoyé, par le biais d’organisations dépendant de l’ONU, des vivres à leurs ressortissants en Irak, mais que d’autres, qu’il n’a pas nommés, ont demandé de "multiplier par dix" les quantités de nourritures fournies aux leurs. "Lorsque nous avons refusé ces demandes, ces pays se sont hâtés de défigurer notre position consistant à assurer aux étrangers les mêmes quantités de vivres que celles fournies aux Irakiens", explique-t-il. Selon le ministre du Commerce, ces pays ont "pris la décision d’affamer l’ensemble du peuple irakien et de faire de la question de fourniture de quantités supplémentaires de vivres à leurs ressortissants un nouvel instrument du complot agressif contre l’Irak". Les diplomates étrangers en poste à Bagdad pourront recevoir à partir de demain leur ration des 9 produits alimentaires de base pour le mois d’octobre. Amer Saleh Shihab, directeur du Duty Free Shop, lieu d’approvisionnement du personnel diplomatique pour les produits rationnés, indique que les 3.180 diplomates, dont la liste a été établie par le ministère des Affaires étrangères irakien, ont déjà reçu leurs rations de septembre.

L'ONU dit non à une mission de paix en Irak.
Les 5 membres permanents du Conseil de sécurité rejettent une mission de bons offices à Bagdad, proposée par 4 pays non alignés (Cuba, Yemen, Malaisie et Colombie), qui demandait "au secrétaire général d’user de ses bons offices pour tenter de dénouer la crise du Golfe en se rendant à Bagdad" et prévoyait "un appel à la retenue des parties". Lors d’un déjeuner de travail, les 5 (USA, URSS, Chine, France, Grande-Bretagne) ont estimé qu’"aucun signe ne permettait de penser qu’une mission de cet ordre aurait plus de chances d’aboutir que celle qui a déjà eu lieu". Mais ils affirment "leur profonde inquiétude devant l’aggravation des tensions" au Proche-Orient et "leur détermination à appuyer un processus actif de négociations, auquel participeraient toutes les parties concernées, et conduisant à une paix globale". Ils n’envisagent donc pas de l’adopter, précise Roland Dumas. Depuis New York, le ministre français des Affaires étrangères déclare qu’ "il n’y a aucun signe permettant de penser qu’une solution pacifique serait envisageable". Cependant, selon Bagdad, Saddam Hussein souhaite un "dialogue sérieux" et fait état de "contacts avec la France".

Les difficultés des entreprises françaises installées en Irak et au Koweït.
Les révélations sur l’attitude de certaines entreprises à l’égard de leurs employés retenus en Irak ont amené le gouvernement français à annoncer la mise en place d’un dispositif "exceptionnel" afin d’éviter la rupture des contrats de travail. François Périgot, président du CNPF (syndicat des patrons), en profite pour demander la création d’un fonds de solidarité pour les entreprises concernées. La question du paiement des frais d’hôtel des otages se pose toujours. Le groupe Technip a indiqué mercredi 26 que le compte bancaire en monnaie irakienne finançant ces dépenses (de l’ordre de 2,5 millions de francs par mois pour ses employés) était en voie de se tarir, faute de pouvoir être alimenté à cause de l’embargo. Technip a demandé à ses salariés otages et à ceux de ses entreprises sous-traitantes de modérer leurs dépenses. Les pouvoirs publics se préoccupent aussi des difficultés rencontrées par des entreprises qui commerçaient beaucoup avec l’Irak et le Koweit. Une "Cellule entreprises Golfe" a été créée et le Comité interministériel pour la restructuration industrielle a été réactivé. Des moratoires fiscaux et des aides en trésorerie sont prévus. Une trentaine d’entreprises françaises se sont déjà manifestées.

La Jordanie dans une situation difficile.
Le ministre irakien des Affaires étrangères arrive à Amman pour une visite non prévue. Porteur d’une réponse de Saddam Hussein au message des chefs d’Etat de Jordanie, du Maroc et d’Algérie demandant un engagement de retrait du Koweit, il est aussitôt reçu par le roi Hussein de Jordanie. On peut prévoir des discussions difficiles eu égard à la volonté irakienne de rester au Koweït à laquelle répond celle des Américains et de leur alliés de justifier leur présence dans le Golfe pour longtemps et de rechercher l’affrontement. Par ailleurs, selon l’agence Reuter à New-York, plusieurs dirigeants arabes (les ministres des Affaires étrangères de Tunisie et de Syrie notamment) ont déclaré hier à James Baker, Secrétaire d’Etat américain, que Saddam Hussein n’avait pas encore compris à quel point la communauté internationale avait décidé de lui faire lâcher prise. A New-York, Baker et Edouard Chevardnadze rencontrent ensemble le prince héritier Hassan de Jordanie. Cette réunion sans précédent a été annoncée en début d’après-midi, après un déjeuner groupant les représentants des 5 membres permanents du Conseil de sécurité et le secrétaire général de l’ONU, Javier Perez de Cuellar. Les chefs des diplomaties américaine et soviétique insistent fortement pour qu’Amman respecte rigoureusement l’embargo contre Bagdad. Le prince Hassan tente de faire mesurer à ses interlocuteurs la situation particulière de son pays. Personne ne peut demander à la Jordanie de se suicider en observant strictement les sanctions décidées contre l’Irak, a-il déclaré en substance quelques heures plus tôt. Hussein de Jordanie, qui condamne l’attitude de l’Irak, s’est dépensé pour rapprocher les points de vue dans la perspective d’une solution arabe négociée, voisine des propositions de Yasser Arafat. Dans l’éventualité d’un conflit ouvert, la Jordanie risque fort s’être rayée de la carte. D’accord avec l’embargo, Amman en applique les mesures avec souplesse. Une des raisons en est que l’économie du pays dépend beaucoup de ses échanges avec Bagdad. Du fait des sanctions imposées à l’Irak, la Jordanie a perdu quelque 40 millions de dollars et a dû rationner les produits de consommation de base. Le prince Hassan a donné ces précisions au cours de la conférence de presse qu’il a tenue, flanqué de Baker et de Chevardnadze. Il a déclaré que ses concitoyens étaient pris d’une "colère froide" devant la situation économique et reprochaient aux pays riches de n’avoir pas toujours tenu leurs promesses d’aider leur pays. La Jordanie doit aussi faire face à l’afflux quotidien de réfugiés venant d’Irak et du Koweït. Plus de 650.000 ont été dénombrés depuis le 2 août. Amman a déjà dépensé 40 millions de dinars (60 millions de dollars) pour faire face à ce problème. L’UNDRO, organisation de l'ONU pour les secours d’urgence, réclame 17 millions de dollars pour faire face aux prochaines arrivées d’Irak.

Interview d'Edouard Chevardnadze sur NBC : l'URSS respectera toutes les résolutions de l'ONU.
Dans une interview accordée à la télévision américaine, le ministre soviétique des Affaires étrangères indique : "Nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité et nous respecterons toute décision, toute résolution du Conseil de sécurité (...) Et cela inclura tout ce qui concerne la participation de troupes soviétiques sous le drapeau, sous les auspices des Nations Unies (...) Nos positions sur le rôle des Nations Unies dans la construction d’un nouvel ordre du monde sont de plus en plus proches" avec celles des USA. Cette déclaration provoque beaucoup de réactions dans le monde, notamment celle du chef de la diplomatie française. Roland Dumas précise qu'"une possible intervention de la force armée" a fait l’objet de "nombreuses conversations" avec Chevardnadze. "Moyennant certaines conditions, je crois que l’URSS accepterait cette perspective", déclare-t-il. La Maison-Blanche se félicite aussi de cette déclaration du Soviétique. "Si les Nations Unies prenaient une décision en ce sens, nous nous féliciterions d’une participation soviétique", commente un porte-parole de la présidence américaine, Roman Popadiuk. Il souligne que ce serait la 1ère participation soviétique à une opération militaire de l’ONU.

Discours de Saddam Hussein : des contacts diplomatiques ont lieu avec la France.
Le Raïs irakien exclut formellement tout retour à la situation d’avant l’occupation du Koweït par ses troupes. Affirmant que son pays est en "contact avec le gouvernement français pour expliquer le point de vue irakien d’une manière précise", il estime que le discours de François Mitterrand à l’ONU "diffère des autres", ajoutant : "Nous espérons que la conclusion positive que nous en avons tirée se vérifiera". Il appelle à un "dialogue sérieux" pour étudier une "solution raisonnable et réaliste" à la crise du Golfe qui, selon lui, doit avoir pour préalable le retrait des troupes étrangères présentes dans la région et la levée du blocus.

En bref :
   

Plusieurs milliers de personnes défilent contre la guerre et pour "une mer sans missiles" dans les rues de Marseille (France). Des délégations arrivées d'Egypte, d'Italie, de Grèce, du Portugal, de Chypre, du Congo... sont venues prêter main forte aux pacifistes.

Selon la CIA, Bagdad disposerait, dans les prochains mois, d’"un nombre significatif d’armes biologiques", ce qui accélérerait "le calendrier" d’intervention armée américaine

Finalement, l'URSS refuse d'envoyer des troupes dans le Golfe aux côtés des Alliés.

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

Julien Dray, député français : "Pour la première fois en France, nous avons des militaires intelligents", et non pas des "pousse-au-crime qui veulent la guerre pour la guerre" (Radio française Radio J).
Le Prince Sultan, ministre saoudien de la Défense, avertit Israël de "se tenir absolument loin du Golfe".
Hans van den Broek, ministre néerlandais des Affaires étrangères : "Je ne sais quelles sont les informations qu’Eyskens a en sa possession, mais il n’y a aucune décision néerlandaise sur une fermeture de l’ambassade".
George Bush, président des Etats-Unis, à l’émir Jaber du Koweit : Les Américains n'excluent "aucune option".
Bassam Abou Charif, conseiller de Yasser Arafat, à propos de l'occupation israélienne de la Palestine : "La défense de la légalité et du droit international ne s’appliquent pas seulement à certaines régions ou à quelques cas, mais à tout le monde".
Jean-Marie Le Pen, homme politique français, se déclare "sûr de ramener des otages français de Bagdad comme Kurt Waldheim", explique que "quelquefois le courage exige de ne pas se battre" et souhaite "le retour de l'armée française en métropole" ("Club de la presse" de Europe 1 & Libération).

 

Agence britannique Reuter : "Les forces en présence dans le Golfe paraissent s’acheminer, lentement mais inexorablement, vers l’option ultime : la guerre. La grande question est quand. Des diplomates et des experts militaires prédisent que le choc aura lieu fin octobre."
Hebdomadaire français Journal du Dimanche : Une visite de François Mitterrand dans le Golfe aura lieu en fin de semaine après l’achèvement du déploiement du corps expéditionnaire français.
Hebdomadaire britannique The Observer : Des armements nucléaires seront utilisés contre l’Irak si Bagdad déclenche une attaque chimique dans le Golfe.
Quotidien américain Washington Post, citant des membres du Congrès sortant d’une rencontre avec George Bush : L’administration américaine envisage "une option militaire à brève échéance."
Agence française AFP : "L’ONU a commencé à envisager la possibilité d’une opération armée contre l’Irak".
Hebdomadaire britannique The Independent on Sunday : Une filiale de la Corporation d’Etat des industries du nord de la Chine aurait livré à l’Irak un produit chimique frappé d’embargo. Des informations "dénuées de tout fondement", selon un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.

Chronologie des événements - septembre 1990

Alors que l'ONU tente des médiations à Bagdad, l'Irak libère plusieurs centaines d'otages.
Partout dans le monde, l'opposition à Saddam Hussein grandit. L'URSS soutient les Américains et manoeuvre pour la paix.

USA et URSS s'unissent contre l'Irak. Les pays du Golfe mettent la main à la poche, la France lance l'opération Busiris aux Emirats Arabes Unis et le Sénégal se joint à la coalition internationale.
Pour contrer la coalition, l'Irak se trouve un allié : l'Iran.
A Koweït-City, l'armée irakienne pille les ambassades de France, du Canada, des Pays-Bas et de Belgique.En réponse, la France lance l'opération Daguet et le Canada envoie des avions de guerre en Arabie Saoudite...

Au Koweït, les ambassades ferment les unes après les autres. Les Koweïtiens franchissent par milliers la frontière koweïto-saoudienne réouverte.
Venus d'Egypte, d'Italie ou d'Argentine, les soldats débarquent par centaines en Arabie Saoudite.

Les hommes de Daguet partent pour le Golfe devant des dizaines de journalistes. De son côté, le Clem atteint les eaux saoudiennes.
Devant les Nations Unies, Mitterrand prêche la paix. L'Irak est satisfait, pas les Etats-Unis... Après maintes tergiversations, l'URSS renonce finalement à envoyer des troupes dans le Golfe.
Désormais, le baril de pétrole s'échange à 41 $ à la bourse de Tokyo. Un record !

 

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L'Irak compte sur la France pour faire la paix (26 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 30 septembre 1990