jeudi 20 septembre 1990

 

Les Kurdes d'Irak reçus par la France.
La délégation de dirigeants kurdes d’Irak qui séjourne en France à l’invitation du gouvernement est reçue au Quai d’Orsay et à l’Elysée, mais ne rencontre ni le ministre des Affaires étrangères ni le Président de la République, ce qui fait dire à Mahmoud Othman, chef du Parti socialiste du kurdistan d’Irak, qu’il s’agit d’une "invitation semi-officielle". Au cours d’une conférence de presse, donnée au siège de l’association France-Libertés en présence de Danielle Mitterrand, les visiteurs exposent leur position dans l’actuel conflit du Golfe. "Les Kurdes, rappelle Jalal Talabani, secrétaire général de l’Union Patriotique du Kurdistan d’Irak, ont été les premières victimes de la dictature irakienne de Saddam Hussein. Ils sont bien placés pour connaître la nature agressive du régime qui n’a absolument aucun intérêt pour la paix. Il l’a montré en envahissant l’Iran, puis le Koweit". En se rendant en France et dans d’autres pays européens de l’Est et de l’Ouest, ces Kurdes entendent rappeler à tous les gouvernements concernés par la crise du Golfe que le problème kurde est un des éléments essentiels de toute solution au Proche-Orient. "Toute solution globale susceptible de résoudre l’ensemble des problèmes de la région doit forcément inclure le Kurdistan. Il faut une conférence internationale qui prenne en compte le problème du Koweit, le problème palestinien, celui du Liban mais aussi le problème kurde. C’est cette solution que nous demandons au gouvernement français de promouvoir". "Cela fait 20 ans, dit Mahmoud Othman, que nous allons partout dans le monde expliquer notre problème et que personne ne veut nous écouter. Aujourd’hui, en raison de l’actualité, on commence à nous entendre, comme on l’a vu ici. Certains des gouvernements que nous avons approchés nous ont parlé de guerre. D’autres non... Nous, nous pensons qu’il faut absolument éviter la guerre. Une solution pacifique est préférable pour nous et pour tout le monde. Nous avons déjà trop souffert de la guerre : il y a eu le génocide chimique contre notre peuple, la guerre contre l’Irak. Il faut éviter de nouveaux morts, de nouvelles destructions, de nouveaux malheurs. Cela ne peut se faire que par le dialogue, par la démocratie, et par une conférence internationale qui mette sur la table tous les problèmes de la région".

La CEE ne craint pas la pénurie de pétrole.
Contre toute attente, les stocks commerciaux de pétrole dans la CEE ont augmenté depuis le début de la crise du Golfe, le 2 août, en raison de la nervosité des marchés, admet à Bruxelles le commissaire européen à l’Energie Antonio Cardoso E Cunha. Ce responsable ne précise pas le niveau actuel de ces stocks, qui représentaient 105 jours de consommation début août, soit un niveau déjà "très confortable", selon lui. Cela signifie qu’actuellement aucun spectre de pénurie ne hante l’Europe, contrairement à certaines affirmations hâtives. Pour ce haut responsable, une fois l’actuelle crise pétrolière terminée, la Commission pourrait par ailleurs proposer des mesures pour limiter les effets de la spéculation sur les marchés pétroliers. "C’est une réelle possibilité", affirme-t-il. En clair, le commissaire européen, en suggérant des mesures contre la spéculation, reconnaît explicitement que les grandes compagnies pétrolières ont profité de la crise du Golfe pour augmenter le prix du baril et gagner ainsi des milliards de dollars de bénéfices...

La CGT s'oppose à la réquisition militaire de navires civils.
La CGT (Congégration Générale des Travailleurs) exprime son soutien aux 38 marins qui ont refusé d'embarquer du matériel militaire sur les car-ferries Corse et Esterel au port de Toulon. Le syndicat, proche du Parti Communiste Français radicalement opposé à l'engrenage militaire, entend ainsi protester contre la réquisition de navires civils pour le Golfe. De ce fait, 500 hommes du "Groupement de Soutien Logistique" (GSL), les premiers des 4.000 militaires français qui doivent rejoindre Yanbu sur la côte ouest de l’Arabie Saoudite, sont partis avec un certain retard. Leur navire Corse est resté bloqué hier soir plus de 6h dans le port de Bastia. Arrivés vers midi à Toulon, les opérations d’embarquement ont débuté vers 17h. Aux côtés des hommes du GSL vont prendre place les derniers du 5ème RHC embarqués en août à bord du porte-avions Clémenceau. Voici maintenant plus de 24h, la CGT condamnait l’affrêtement de navires civils décidé par le gouvernement pour transporter des troupes dans le Golfe. Ajoutant dans un communiqué : "Les conditions d’affrètement, pour un certain temps d’exploitation, faites (au nom du gouvernement) par la Compagnie de navigation aux marins sont rejetés par la CGT (...) Les marins CGT ne cautionneront jamais, comme tous les syndiqués de la CGT, des politiques de guerre décidées à Paris ». Bernard Lacombe, secrétaire confédéral de la CGT, intervenait en milieu de journée sur la télévision FR3 : "Nous refusons d’entrer dans cette logique de guerre que constitue le fait d’envoyer de nouvelles troupes dans cette région du Golfe. Nous considérons que ce n’est pas par la guerre qu’on apportera la solution. Mettre à feu et à sang cette région du Golfe, tel qu’on risque de le faire quand on accumule les armes et les troupes, eh bien, nous pensons que la réponse, ne peut être là". Et d'ajouter : "Nous sommes dans une situation où il y a, dans le pays, une grande inquiétude, une grande interrogation ; les travailleurs de la CGT ont le courage d’exprimer cette crainte et d’exprimer la certitude que ce n’est pas la guerre qui va résoudre le problème du Moyen-Orient". Une certitude d’autant plus grande, ajoute-t-il, que cela fait longtemps que, pour sa part, la CGT condamnait le régime de Saddam Hussein et sa chasse aux communistes et aux autres progressistes, "et même au moment où la France lui envoyait des armes"... De son côté, la Fédération nationale des ports et docks CGT "condamne la décision d’utiliser des navires marchands et de réquisitionner les marins du commerce à des fins militaires. Elle appelle l’ensemble des travailleurs portuaires à refuser de s’installer dans des choix dictés par une "logique de guerre". Elle les appelle au contraire à agir avec détermination pour exiger un règlement politique et pacifique du conflit, préservant à la fois la souveraineté des Etats et prenant en compte la volonté des peuples concernés". La Fédération nationale des syndicats maritimes CGT rappelle qu’elle a toujours "revendiqué et exigé que la flotte de commerce corresponde dans tous les genres de navigation à la situation géographique, économique et commerciale de notre pays et d’assurer l’indépendance de la France". "Dans l’affaire du Golfe persique, la situation ne justifie ni le surarmement dans cette région, ni la réquisition de navires civils et de leurs équipages. La Fédération se prononce pour la paix et la justice dans le monde".

Interview de Michel Jobert dans le Parisien libéré : la politique folle de la France.
L'ancien ministre français des Affaires étrangères explique dans le quotidien français : "Au nom du droit international, qui est "à géométrie variable" comme on peut le constater sans effort de mémoire, la France s’est associée, s’est ensevelie dans une politique folle au Proche-Orient". De l’histoire récente dans cette partie du monde, "les Européens furent les plus parfaits dindons. Et la leçon ne paraît pas les avoir instruits en clairvoyance et en prudence : les voilà de nouveau enrôlés pour défendre les intérêts pétroliers américains, considérables, efficaces et cyniques". "Je suis effaré par la facilité avec laquelle beaucoup de personnes envisagent la possibilité, voire la nécessité d’une guerre au Moyen-Orient, comme si toutes les hypothèses de solutions négociées étaient épuisées (...). Dans le nouveau contexte international actuel, plus que jamais, les chrétiens doivent être en première ligne pour rappeler à la face du monde le droit des nations pauvres à vivre dans la dignité et la justice, pour vivre eux-mêmes la solidarité avec les pays en voie de développement, pour en tirer les conséquences au plan de nos vies quotidiennes".

Interview de Bachir Boumaza : la France part en "croisade".
L'ancien ministre et membre du Comité central du Front de Libération Nationale, déclare à la radio algérienne : "La logique de guerre dans laquelle François Mitterrand veut nous introduire", rappelle "la fameuse phrase 'avec le FLN, la seule négociation c’est la guerre' " prononcée par Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, lors du déclenchement de la guerre d’indépendance de l’Algérie en 1954. Bachir Boumaza, qui a séjourné récemment à Bagdad où il s’est entretenu avec Saddam Hussein et les principaux dirigeants irakiens, ajoute : "Cette logique de guerre s’est terminée à l’avantage du peuple algérien qui a obtenu son indépendance en 1962 et j’espère qu’elle se terminera à l’avantage des peuples arabes". Le dirigeant algérien poursuit : "La France de François Mitterrand n’a rien à voir avec la France du général De Gaulle". Il suffit, selon lui, de lire des livres d’histoire pour "retrouver en bonne place le nom d’un jeune sous-secrétaire d’Etat aux Anciens combattants, François Mitterrand, qui s’était fait une gloriole de briser le blocus contre Israël et de contribuer à l’armer", lors de la création de l’Etat hébreu en 1948. Bachir Boumaza estime que la France, "fille aînée de l’Eglise", a l’intention de mener une "croisade" dans la région du Golfe. Il précise qu’il va retourner à Bagdad pour y rencontrer Saddam Hussein avec lequel il entretient des "relations personnelles et amicales".

En bref :
   

Au terme d’une visite officielle de 2 jours à Caracas, Gérard Renon, secrétaire d’Etat à la Défense, a mis en évidence les "vues communes" de la France et du Venezuela dans le traitement de la crise du Golfe.

Israël a demandé aux USA un milliard de dollars d’aide militaire d’urgence à la suite de la décision de Washington de livrer pour 19 milliards d’armes sophistiqués à l’Arabie Saoudite.

Pour la première fois, une délégation du Front du Kurdistan d'Irak est reçue officiellement par des membres du gouvernement français.

Ils ont dit :
   

Saddam Hussein, président de l'Irak : "S'il est attaqué militairement, l'Irak a pour projet stratégique de détruire tous les champs pétrolifères de la région". L'Irak utiliserait alors "toutes les armes dont il dispose".
Li Peng, Premier ministre chinois : "La crise est entrée dans une phase critique, et la Chine soutient une solution pacifique".
Mgr Marcel Herriot, évêque de Verdun : "Plus jamais la guerre !" (Hebdomadaire français Témoignage chrétien).

 

 

Chronologie des événements - septembre 1990

Alors que l'ONU tente des médiations à Bagdad, l'Irak libère plusieurs centaines d'otages.
Partout dans le monde, l'opposition à Saddam Hussein grandit. L'URSS soutient les Américains et manoeuvre pour la paix.

USA et URSS s'unissent contre l'Irak. Les pays du Golfe mettent la main à la poche, la France lance l'opération Busiris aux Emirats Arabes Unis et le Sénégal se joint à la coalition internationale.
Pour contrer la coalition, l'Irak se trouve un allié : l'Iran.
A Koweït-City, l'armée irakienne pille les ambassades de France, du Canada, des Pays-Bas et de Belgique.En réponse, la France lance l'opération Daguet et le Canada envoie des avions de guerre en Arabie Saoudite...

Au Koweït, les ambassades ferment les unes après les autres. Les Koweïtiens franchissent par milliers la frontière koweïto-saoudienne réouverte.
Venus d'Egypte, d'Italie ou d'Argentine, les soldats débarquent par centaines en Arabie Saoudite.

Les hommes de Daguet partent pour le Golfe devant des dizaines de journalistes. De son côté, le Clem atteint les eaux saoudiennes.
Devant les Nations Unies, Mitterrand prêche la paix. L'Irak est satisfait, pas les Etats-Unis... Après maintes tergiversations, l'URSS renonce finalement à envoyer des troupes dans le Golfe.
Désormais, le baril de pétrole s'échange à 41 $ à la bourse de Tokyo. Un record !

 

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En vidéo


La France envoie des troupes en Arabie (23 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 20 septembre 1990