lundi 17 septembre 1990

 

Le chef de l'US Air Force limogé par le Pentagone.
Le général Michaël Dugan, ancien pilote de chasse et chef de l'US Air force depuis 3 mois seulement, est limogé pour avoir divulgué au Washington Post et au Los Angeles Times que le palais serait le premier objectif des bombardiers américains lors d'une attaque sur Bagdad et que "Saddam, sa famille, ses gardes du corps et sa maîtresse seront pris pour cibles". Il a aussi déclaré à ces quotidiens que les autorités de Washington ont conclu que seules des attaques aériennes massives, sur Bagdad notamment, seraient en mesure de forcer Saddam Hussein à se retirer du Koweit. Selon lui, les responsables américains ont sélectionné certains objectifs en Irak : installations de défense anti-aérienne, aérodromes, avions, sites de missiles et autres installations militaires, centrales électriques, routes, voies ferrées et, peut-être, raffineries à l’exclusion des champs pétrolifères eux-mêmes. Le chef d’état-major limogé avait livré ce commentaire : "C’est une belle liste de cibles et je pourrais y souscrire, mais ce n’est pas assez." Proposant d’y ajouter Saddam Hussein et ses proches, il avait ajouté : "Si nous choisissons la violence, il doit être au centre de nos efforts." Ni le Pentagone, ni la Maison Blanche n'ont apprécié la franchise du général, qui est ainsi devenu le premier officier de ce rang à être relevé de ses fonctions depuis 1949. Brent Scowcroft, conseiller pour les Affaires de sécurité nationale de la Maison-Blanche, s’est contenté de rappeler que les dires de Dugan n’engageaient pas le gouvernement des USA. Même si Dugan affirme dans une lettre que diffuse l’US Air Force : "Je regrette tous les embarras que mes commentaires ont pu causer au gouvernement", assurant qu’il n’a exposé que son point de vue, ce très haut grade a, semble-t-il, dit tout haut ce que ses pairs et ses supérieurs pensent tout bas. Le secrétaire à la Défense le laisse entendre. Au cours d’une conférence de presse tenue au Pentagone, Dick Cheney précise que le fautif sera "mis à la retraite", tout en conservant ses 4 étoiles. Il déclare ensuite : "Le général Dugan a manqué de jugement à une période critique. Il a divulgué des informations qui n’auraient pas dû l’être. Il existe des choses dont on ne parle jamais, notamment des sujets opérationnels". Le ministre de la Défense souligne que les quelque 150.000 GI's déployés dans la région du Golfe "risquent d’être engagés dans des hostilités dans un très proche avenir. Dans ces circonstances, la conduite de la politique de sécurité des Etats-Unis est une tâche très délicate" qui ne permet pas à Dugan de faire ce genre de déclarations. Le secrétaire à la Défense refuse de commenter l’hypothèse, avancée par l’ex-chef d’état-major de l’US Air Force, de viser directement Saddam Hussein. Cheney se borne à rappeler qu’un décret présidentiel interdit aux forces armées et aux services de renseignement américains de tenter d’éliminer physiquement des dirigeants étrangers. Le fait d’évoquer l’éventuel assassinat de Saddam Hussein est "inapproprié" et constitue "potentiellement une violation du décret présidentiel". Sur ce point non plus Dugan n’est pas contredit par son ministre. Le Washington Post rappelle que George Bush a "réinterprété" ce décret, promulgué après le bombardement de la résidence du colonel Kadhafi par l’aviation américaine en 1986. L’actuel président estime que ce texte n’empêche pas la CIA d’aider et d’assister les auteurs d’un coup d’Etat qui irait jusqu’à l’assassinat d’un chef d’Etat étranger. Autre indication intéressante du journal : les déclarations du général Dugan sont gênantes parce qu’elles permettent aux autres pays arabes de penser que Washington suit les conseils de Tel Aviv. Les dirigeants israéliens prônent en effet l’élimination physique de Saddam Hussein...

L'Opération Daguet vue par la presse française.
Au lendemain de l'annonce du plus important déploiement de troupes françaises depuis la guerre d'Algérie, la presse française commente la position de la France dans la crise du Golfe. "Opération Daguet : une logique de feu", titre le Quotidien en expliquant, carte à l’appui, que "le dispositif militaire français... prend un tour nettement plus offensif que celui qui prévalait jusqu’à maintenant". "4.000 hommes, 1.000 véhicules, dont 210 blindés, et 30 avions de combat vont renforcer le dispositif militaire français du proche-Orient", ajoute Le Figaro. Le Monde titre sur "Le corps expéditionnaire le plus important depuis la guerre d’Algérie". Et ce journal d’ajouter : "Tirant parti de la nouvelle prise d’otages de Français et du saccage de son ambassade par les Irakiens au Koweït, le chef de l’Etat a approuvé un renfort du dispositif militaire en Arabie Saoudite qui consiste à prévoir d’y stationner la moitié des effectifs de la 6ème division légère blindée (DLB) et qui correspond au voeu, exprimé une semaine avant par Georges Bush, que les alliés des Etats-Unis participent davantage à un déploiement terrestre".

Conférence de presse de l'ambassadeur d’Irak en France.
Abdul Razzak al Hachimi accuse le conseil de Sécurité de l’ONU d’avoir adopté une résolution "injuste et déloyale" à l’égard de l’Irak en condamnant l’intrusion de l’armée irakienne dans des locaux diplomatiques (notamment français) à Koweit-City. "C’est la 1ère fois dans son histoire, explique l'ambassadeur d’Irak en France, que le Conseil de Sécurité adopte en quelques heures des décisions sur la foi du récit d’un incident qui n’a donné lieu à aucune vérification, à aucune enquête". L’ambassadeur, qui donnet une conférence de presse, rejette cette résolution "fondée sur des incidents qui ne se sont jamais produits". "Rien n’est vrai dans les informations concernant la situation des ambassades à Koweit-City", affirme-t-il. Il accuse également les autorités françaises de s’être comportées "de façon inhumaine" avec ressortissants irakiens expulsés hier. Il annonce, sans autres précisions, que Bagdad prendra des mesures de réciprocité. L’ambassadeur confirme que les 3 Français arrêtés il y a 3 jours à Koweit-City ont été conduits sur des sites stratégiques, comme d’autres ressortissants étrangers, "pour éviter une attaque contre l’Irak". Réaffirmant que son pays "ne tirera jamais la 1ère balle", il lance un appel à une solution pacifique, rappelant "l’initiative de paix" prise le 12 août par Saddam Hussein qui a alors proposé de lier le retrait de ses forces du Koweit au retrait israélien des territoires occupés et au retrait américain du Golfe.

Polémique aux USA après la diffusion en Irak d'une allocution de George Bush.
Depuis hier, des extraits du message adressé par George Bush aux Irakiens sont sur les chaînes de télévision américaines. Suivent des reportages sur les manifestations en Irak. Tous les commentaires soulignent que ces démonstrations ont été montées par le gouvernement de Bagdad. Le Washington Post écrit que les téléspectateurs irakiens ne savaient même pas à quelle heure la bande enregistrée mercredi dernier à la Maison-Blanche leur serait présentée. Selon d’autres sources, ce que Bush avait à dire a intéressé fort peu de citoyens irakiens. On insiste sur l’idée que ces manifestations anti-américaines aux cris de "Down, down, Bush" (A bas Bush) et "Death to Bush" (Mort à Bush), seraient l’oeuvre de la propagande irakienne. Plusieurs journalistes, comme Larry Bensky, l’un des directeurs de la radio Pacifia, s’inquiètent de la montée de la propagande guerrière aux USA et en Irak. Si un journal irakien compare Bush à son prédécesseur Johnson, l’accusant de vouloir "vietnamiser" l’Irak, plusieurs articles, parus dans la presse américaine, comparent les capacités de la machine guerrière des USA et de celle des Irakiens. De son côté, une télévision américaine a interviewé le ministre de l’Information de Saddam Hussein qui affirmait : "Bush n’a pas parlé au peuple. Il a lu le texte d’un téléprompteur". Pour beaucoup d’Américains, cette remarque est encore une manifestation de la propagande irakienne. Certains, cependant, notent qu’elle n’est pas inexacte. Bush, en effet, ne s’est pas présenté comme à son habitude, assis ou derrière une tribune. Sur un fond orange, il se tenait debout en lisant son message, sans doute sur le conseil d’un de ses "image makers", afin de correspondre aux conditions de communication télévisuelle dont les Irakiens ont l’habitude. Cela a choqué une partie de l’opinion américaine. Ce changement de style et les sous-titres arabes sous l’image du président laissent une impression de malaise. Beaucoup se demandent si cette allocution de près de 8 minutes n’a pas fait plus de mal que de bien en ce moment de tension et de surenchère dans le Golfe...

Interview de Jean-Pierre Chevènement dans La Tribune de l'Economie : priorité à l'embargo.
Dans une interview accordée au quotidien français, le ministre français de la Défense explique : "Il ne s’agit pas de s’enfermer dans la logique de guerre. Il s’agit de renforcer la dissuasion pour décourager une nouvelle agression. La politique de la France, comme l’a rappelé le Président de la République, reste l’embargo, pour contraindre l’Irak à revenir au droit". Après cette pétition de principe, Chevènement se livre à un long plaidoyer pour l’augmentation du budget militaire en affirmant que "la crise du Golfe ne doit pas nous faire oublier que l’Europe reste potentiellement instable" ; que dans cette Europe "la tâche de la France, notamment avec ses moyens militaires, restera au cours des prochaines années de contribuer à la stabilité de la paix, tout en s’efforçant de contenir les conflits potentiels en dessous d’un certain seuil". Chevènement montre que sa tache vise à faire accepter au peuple français la logique du surarmement. Il prend la précaution de dire que la force nucléaire française "est au service de la stabilité et de la paix en Europe et dans le monde." Mais, c’est pour ajouter aussitôt : "Nous pourrons en 1991, avec 3 sous-marins M4 en permanence à la mer, disposer d’un potentiel dissuasif de 300 têtes nucléaires stratégiques air-sol".

En bref :
   

L'URSS et l'Arabie Saoudite reprennent leurs relations diplomatiques, interrompues depuis le 11 septembre 1938. Moscou lance ainsi un avertissement très clair à son ancien allié : Bagdad.

En plein centre de Manille, plusieurs centaines de manifestants exigent la fermeture des installations militaires américaines aux Philippines. Peu après, l’envoyé de Washington, Richard Armitage, arrive pour discuter de l’avenir de ces bases.

A l'exemple de la France, les pays membres de la CEE expulsent tous leurs attachés militaires irakiens.

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

Serge July, directeur du quotidien Libération : La situation provoquée par l’invasion du Koweït par l’Irak a "offert au président Mitterrand une de ces crises planétaires où l’on peut tutoyer l’histoire" (Radio française Europe 1).
George Bush, président des Etats-Unis : "Nous sommes très reconnaissnants à la France d'envoyer en Arabie Saoudite des forces terrestres significatives".
Amiral Pierre Lacoste, de l'armée française : "Le bon sens, nourri par les souvenirs de Munich, milite pour une sanction sans ambiguité... Mais par ailleurs, les experts les plus autorisés en matière militaire doutent de l’efficacité d’une action armée. Ils soulignent presque tous les dangers du recours à la force" (Quotidien français Le Figaro).

 

Quotidien français Le Figaro : "La France est en train de vivre un de ces moments rares, où le sentiment d’unité nationale a raison de tout". Après avoir noté que "François Mitterrand s’est avancé un peu plus dans la logique de guerre", il affirme que la France ne pouvait faire plus, ni moins. Et d'ajouter : "Elle aura bientôt 13.000 hommes sur place. Bien plus que la Grande Bretagne. On voit les risques d’une telle situation. D’où l’affolement des néo-munichois..."

Chronologie des événements - septembre 1990

Alors que l'ONU tente des médiations à Bagdad, l'Irak libère plusieurs centaines d'otages.
Partout dans le monde, l'opposition à Saddam Hussein grandit. L'URSS soutient les Américains et manoeuvre pour la paix.

USA et URSS s'unissent contre l'Irak. Les pays du Golfe mettent la main à la poche, la France lance l'opération Busiris aux Emirats Arabes Unis et le Sénégal se joint à la coalition internationale.
Pour contrer la coalition, l'Irak se trouve un allié : l'Iran.
A Koweït-City, l'armée irakienne pille les ambassades de France, du Canada, des Pays-Bas et de Belgique.En réponse, la France lance l'opération Daguet et le Canada envoie des avions de guerre en Arabie Saoudite...

Au Koweït, les ambassades ferment les unes après les autres. Les Koweïtiens franchissent par milliers la frontière koweïto-saoudienne réouverte.
Venus d'Egypte, d'Italie ou d'Argentine, les soldats débarquent par centaines en Arabie Saoudite.

Les hommes de Daguet partent pour le Golfe devant des dizaines de journalistes. De son côté, le Clem atteint les eaux saoudiennes.
Devant les Nations Unies, Mitterrand prêche la paix. L'Irak est satisfait, pas les Etats-Unis... Après maintes tergiversations, l'URSS renonce finalement à envoyer des troupes dans le Golfe.
Désormais, le baril de pétrole s'échange à 41 $ à la bourse de Tokyo. Un record !

 

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En vidéo


La France expulse des Irakiens (23 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 17 septembre 1990


La crise du Golfe (9 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 17 septembre 1990