lundi 27 août 1990

La rentrée politique en France.
La rentrée politique a lieu, cette année, plus tôt que prévue. Les ministres d'abord, avec une intervention du ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, qui annonce l'interdiction sur le sol français de toute manifestation en faveur de l'Irak.
Puis, les députés qui, debout dans l'hémicycle, ont écouté le président de l'Assemblée, Laurent Fabius, lire un message de François Mitterrand, une méthode rarement utilisée. Le chef de l'Etat y "affirme la cohésion profonde de la France en réponse au chantage" exercé par Bagdad sur les otages retenus en Irak et au Koweït. Puis Michel Rocard, Premier ministre, prononce un discours très ferme : la libération des Français retenus ne sera pas négociée. La France ne "se dérogera pas à l'usage de la force armée s'il n'y a aucun moyen de faire autrement". D'ailleurs, Rocard annonce qu'il se garde la possibilité d'envoyer son 2ème porte-avions, le Foch, dans le Golfe si la situation l'exige. La France renforce aussi son opération Busiris en mettant en place aux E.A.U. une section de missiles Crotale. Pour l'heure, c'est le consensus, comme le remarque Pierre Méhaignerie au nom des élus centristes, plus par solidarité envers l'ONU que pour se rallier au panache blanc de Mitterrand. Pour une fois, les applaudissements seront plus nombreux que d'habitude, au cours de cette séance extraordinaire, qui méritait son nom. A noter cependant les bémols de l'UDF Charles Millon, critiquant l'irrésolution du gouvernement, et Jacques Chirac, président du RPR, pour qui il ne s'agit pas de consensus, mais que l'heure est à une "responsabilité collectivement assurée". Gilbert Gantier, député UDF, explique : "On vient nous expliquer qu'on a envoyé un porte-avions sans avions. Tout ça c'est cinéma et compagnie". A noter également la fausse note du FN qui, par la voix de Marie-France Stirbois, a estimé qu'il serait préférable de faire la police dans les banlieues plutôt que la guerre dans le Golfe. Les groupes parlementaires restent à l'unisson de l'opinion française.

Interview de Boutros Boutros-Ghali sur TF1 : il faut négocier.
Sur la chaîne de télévision française TF1, le ministre égyptien des Affaires étrangères Boutros Ghali répond à plusieurs questions sur les chances de la négociation dans la crise du Golfe. "Il faut négocier, il faut essayer de négocier" explique-t-il. Certes, "les chances de trouver une solution pacifique du conflit sont très limitées mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer", insiste Ghali. Il propose d’utiliser pour cela "les différents canaux qui existent", citant notamment les pays arabes et le rôle du secrétaire général de l'ONU. Le ministre égyptien fait remarquer que l’Irak a bien conclu la paix avec l’Iran, après 8 ans de guerre et se retire du territoire iranien. "Il n’y a aucune raison pour ne pas tenter d’obtenir la même chose" aujourd’hui, ajoute Boutros Gali, faisant allusion au nécessaire retrait irakien du Koweït. "La paix est extrêmement importante et dans cette région nous avons besoin de la paix", conclut le ministre égyptien.

Le ballet diplomatique soviétique se poursuit.
La diplomatie soviétique poursuit ses contacts avec les pays arabes. Ismat Abdel Maguid, ministre des Affaires étrangères égyptien, vient d’arriver à Moscou. Il est porteur d’un message personnel de Hosni Moubarak à Mikhaïl Gorbatchev. Ses entretiens avec son homologue soviétique Edouard Chevardnadzé débutent. "Cette visite fait partie des consultations très intenses qui ont lieu entre l’Egypte et l’URSS sur les questions liées à la crise du Golfe, déclare le ministre égyptien. Ces contacts actifs avec l’URSS sont un élément important de la politique extérieure égyptienne dans son ensemble". Cet après-midi, le chef de la diplomatie du Caire est reçu au Kremlin par le président de l’URSS. Mikhaïl Sytenko, envoyé spécial de la direction soviétique au Proche-Orient, passe son week-end à Bagdad. Il est reçu par le ministre des Affaires étrangères irakien. Selon l’agence Tass, les 2 hommes discutent "des moyens de sortir de la crise par des moyens politiques". Ils conviennent qu’il est "spécialement important d’éviter toute escalade militaire" et rappellent "l’importance primordiale des contacts entre l’URSS et l’Irak". A Bagdad, l’émissaire soviétique rencontre aussi le président palestinien. Toujours selon Tass, leur échange de vues porte notamment sur "la concentration dangereuse des forces des Etats-Unis et de leurs alliés dans la région. Yasser Arafat souhaite que l’URSS joue un rôle plus actif et plus important afin de diminuer la tension dans cette zone et d’aider les pays arabes à débloquer la crise sans ingérence ni menace étrangère". L’évacuation des femmes et des enfants soviétiques résidant en Irak (un millier de personnes concernées sur les 8.000 coopérants envoyés par l’URSS) commence aujourd’hui. Un pont aérien entre Bagdad et Moscou doit les acheminer tout au long de la semaine.

Les membres de l'UEO sur le pied de guerre.
Les chefs d’état-major des armées et leurs représentants des 9 pays membres de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) se réunissent à Paris afin de coordonner leurs opérations dans la région du Golfe. Actuellement sous présidence française, l’UEO, seule instance européenne compétente en matière de défense, comprend la Belgique, l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et la RFA. Aucune indication officielle n’a été donnée sur les questions traitées. Selon une source militaire, les principaux problèmes évoqués relèvent de la Marine. Avant même que le Conseil de sécurité de l’Onu n’adopte, samedi, une résolution appelant les Etats qui déploient des forces navales dans la région du Golfe "à prendre des mesures qui soient en rapport avec les circonstances du moment" pour faire respecter l’embargo contre l’Irak, les membres de l’UEO s’étaient, dès mardi dernier, déclarés "en principe" d’accord pour utiliser la force. Ils avaient aussi décidé d’établir entre eux une "coordination étroite" dans le Golfe. Cette coordination doit couvrir les concepts opérationnels d’ensemble et les directives spécifiques de coordination des forces dans la région, notamment en ce qui concerne les zones d’opérations, le partage des tâches, le soutien logistique et l’échange de renseignements.

L'industrie française de l'armement s'inquiète de la crise du Golfe.
Inquiétudes d'autant plus renforcées par l'embargo militaire qui pèse sur l'Irak. Ainsi, le groupe Dassault constitue une cellule de crise. Bagdad doit 3 milliards de francs (500 millions d'€) à ce fabricant de chasseurs alors que 7 Mirage F-1 (au prix unitaire de 200 millions de F, soit 30,5 millions d'€) commandés par l'Irak sont toujours sur les chaînes de montage. Dassault ne s'attend plus à être payé, et tente donc de refourguer ces appareils à d'autres clients. Mêmes inquiétudes chez Aérospatiale qui attend 1 milliard de F (150 millions d'€) de l'Irak après une livraison de missiles Exocet et AS-30 Laser toujours impayés. L'Office général de l'air (officine gouvernementale de ventes d'armes dirigée par le frère du chef de l'Etat) a un déficit de 200 millions de F dû au non-paiement de matériel livré à l'Irak comme des pièces de rechange pour hélicoptères, et l'annulation de diverses commandes importantes. De plus, lors de l'invasion de leur émirat, des soldats koweïtiens sont parvenus à fuir pour l'Arabie avec 8 Mirage F-1, 8 Gazelle, 6 Puma et 4 Superpuma. Ils sont donc toujours intacts, ce qui constitue un nouveau manque à gagner pour les armateurs français...

En bref :
   

Les premiers Tornado britanniques expédiés au Proche-Orient quittent leur base de Brüggen (Allemagne de l'Ouest) pour l'aéroport international de Bahreïn.

Bagdad demande officiellement aux commandants de ses navires de ne pas défier le blocus occidental dans le Golfe.

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

 Valéry Giscard d'Estaing, ancien président français : François Mitterrand "fait tout à contre-temps. Il joue les va-t-en guerre quand il faut jouer la diplomatie et apparaît amorphe quand il faut jouer les gros bras (...). Il ne connaît rien à la mentalité arabe de 'oeil pour oeil, dent pour dent'".
Jeane Kirkpatrick, ancienne ambassadrice des USA à l’ONU : "La guerre est une option peu souhaitable, non seulement parce qu’elle coûte cher en vies humaines et en ressources matérielles, mais surtout parce qu’elle est fondamentalement déstabilisante et que ses conséquences sont aléatoires" (Quotidien français Le Figaro).
Amiral Lacoste, de l'armée française : "N’y aurait-il pas des ouvertures possibles, par exemple, sur l’accès à la mer ou aux îles, sur le règlement des dettes ou sur un meilleur emploi des revenus du pétrole ?" (Quotidien français Le Figaro).
Michel Rocard, Premier ministre français : "A vouloir éviter un conflit au prix d'un déshonneur, on obtient l'un plus l'autre".

 

Quotidien français L'Humanité,opposé à la guerre : "Les va-t-en guerre ont revêtu le treillis et, conditionnement psychologique oblige, ils filtrent les informations. C’est ainsi que seuls les lecteurs de L'Humanité sauront que 80% des Américains sont hostiles à une action militaire immédiate contre l’Irak. Il y a des nouvelles qui dérangent..."
Quotidien soviétique La Pravda titre : "Golfe : journées d’inquiétude" et explique : "L’administration des USA interprète la résolution comme une victoire de la diplomatie américaine, qui délie les mains de l'US Navy dans le Golfe et lui donne la possibilité de stopper tous navires commerçant avec l’Irak".

Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

Gallerie de photos
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En vidéo


Les ambassades occidentales au Koweït sont assiégées (25  minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 27 août 1990


La crise du Golfe : l'ambassade allemande au Koweït (14 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 27 août 1990