vendredi 17 août 1990

L'ONU réclame la libération de tous les otages.
Le Conseil de sécurité vote à l'unanimité la résolution 664 exigeant que l'Irak "autorise et facilite le départ immédiat du Koweït et de l'Irak des nationaux des Etats tiers". Bagdad a répondu que les 1,2 million d'Egyptiens se trouvant en Irak et dans l'émirat, ne sont pas concernés par ces mesures d' "hébergement". De plus, Bagdad réclame la levée de l'embargo qui "risque d'affamer aussi bien les étrangers que les Irakiens". Si George Bush retire ses troupes du Golfe, Saddam Hussein laisse repartir tous les otages. La Maison Blanche rejette cette proposition en affirmant que l'Irak donne une "leçon quotidienne de ridicule".

Renforcement de l'embargo : George Bush ordonne l'usage de la force.
Depuis son bureau ovale de la Maison-Blanche, George Bush signe le décret autorisant les navires de l'US Navy présents dans le Golfe à arraisonner et à tirer sur tous les bateaux qui ne respecteraient pas l'embargo contre l’Irak. Les 30 bâtiments de guerre américains dans la région sont désormais autorisés par leur président en personne à intercepter par tous les moyens, tous navires transportant des marchandises destinées à l’Irak et au Koweït, ou en provenance de ces 2 pays. Pete Williams, porte-parole du ministère américain de la Défense, indique au même moment que "les alliés des Etats-Unis croisant dans la région - notamment la France, la Grande-Bretagne, l’Union soviétique et le Canada - sont libres de participer où non à ces opérations". Au Pentagone, on précise dans un communiqué que "cette décision est conforme à la résolution 661 des Nations unies qui a imposé des sanctions obligatoires". Une affirmation en contradiction avec les déclarations du secrétaire général de l’ONU, Javier Perez de Cuellar. Les résultats ne tardent pas. Selon l’AFP, vers midi, un tanker irakien se dirigeant vers le terminal de Yanbu en Arabie Saoudite est détourné. Dans l’ensemble du Golfe, la mise en place du dispositif guerrier se poursuit. 2 corvettes italiennes ont quitté hier leur port d’attache pour gagner la Méditerranée orientale où elles doivent remplacer des unités américaines. Une flottille belge composée de 2 chasseurs de mines et d’un navire d’escorte a également appareillé avec la même destination. Le gouvernement japonais pourrait prendre des "mesures sans précédent" pour contribuer à faire respecter "l’embargo" contre l’Irak annonçe le porte-parole du ministère nippon des Affaires étrangères. D’ores et déjà des unités "non combattantes" spécialisées dans les transports et les communications et des équipes médicales sont arrivées sur place. Au Caire, plus de 10.000 Egyptiens auraient demandé à servir dans les forces armées saoudiennes. Sur le terrain, les forces armées américaines semblent s’installer pour une longue période. Une ville de tentes, avec air conditionné et un hôpital de 50 lits a poussé en plein désert saoudien, pour abriter les GI's. Une fois terminée, elle pourra abriter les 1.100 hommes et femmes de la 1ère brigade aérienne tactique, venue de Virginie, sur une énorme base saoudienne où les chasseurs bombardiers F-15 de l’US Air Force sont en état d’alerte permanent. Il semble que désormais, tout soit prêt pour l’affrontement. Selon les premières estimations officielles publiées par le Pentagone, le déploiement des forces américaines en Arabie Saoudite, baptisée « Bouclier du désert », coûtera 1,18 milliard de dollars jusqu’à la fin septembre. 750 millions pour l’armée de terre, 230 millions pour la marine et 200 pour l’aviation. 56 millions de dollars sont consacrés aux équipements de protection nécessaires contre la guerre chimique. L’estimation des dépenses fournie par le département de la Défense américain s’arrête au 30 septembre car "le déploiement des forces ainsi que leur rôle évolue encore". Est-ce l’aveu implicite que les USA s’installent et pour longtemps dans cette région du monde ? Tout porte à le croire. La presse américaine estime pour sa part que les GI's pourraient rester des dizaines d’années dans le Golfe...

Interview de Jean-François Poncet sur France-Info : Saddam Hussein a gagné l'opinion publique arabe.
Ancien ministre des Affaires étrangères de Giscard d’Estaing dont il est resté très proche, Jean François-Poncet rentre d’Amman, (Jordanie), où François Mitterrand l’avait envoyé en mission. Sur Radio-France, il indique : "Si l’Occident et plus généralement la communauté internationale est en train de marquer des points dans la mise en oeuvre d’un appareil militaire imposant et à mon sens dissuasif à l’égard de l’Irak, (...) il y a un domaine, un plan sur lequel à mon sens c’est Saddam Hussein qui marque des points, c’est celui de l’opinion publique arabe. (...) Dans un pays comme la Jordanie, la population est presque à 100% pour lui." Selon Poncet, le roi Hussein "aura du mal politiquement" à appliquer l’embargo. L’émissaire de Mitterrand poursuit : "Je crois qu’il faut que les choses soient tout à fait claires. (...) L’expérience nous a appris qu’un embargo cela se contourne (...). Il se trouve que dans la charte des Nations unies, l’application par la force d’une décision prise par les Nations unies implique une autre décision. Cette autre décision n’a pas été encore prise. (...) Les membres permanents du Conseil de sécurité ont pris des contacts entre eux pour voir comment on pourrait y arriver. (...) Les Etats-Unis ne veulent pas attendre. Et disent : nous appliquons tout de suite par la force cet embargo. Et la France dit : nous préférons attendre que la loi internationale nous permette de prendre des mesures de force. Nous ne refusons pas d’en prendre mais nous voulons les reporter. (...) Il y a là 2 attitudes différentes. L’une et l’autre me paraissent explicables. (...) Je suis donc convaincu qu’on en viendra d’une façon ou d’une autre, ou bien à un embargo de droit tel qu’il pourrait être décidé par les Nations unies, ou un embargo de fait tel quel les Américains entendent bien le mettre en oeuvre."

Interview du chef du parti communiste palestinien dans L'Humanité : non à l'ingérence américaine.
Souleiman Najjab, dirigeant du parti communiste palestinien, membre du Comité exécutif de l’OLP, explique au quotidien français L’Humanité l’appréciation des communistes palestiniens sur la situation dans le Golfe. "En tant que communistes et en tant que Palestiniens, nous ne pouvons accepter l’invasion du Koweit par l’Irak. Nous mêmes luttons pour libérer notre patrie d’une occupation militaire." Regrettant que la crise ne soit pas gérée dans un cadre strictement arabe, il remarque : "Actuellement, nous assistons à l’invasion et à l’occupation de toute la région par les Etats-Unis" qui, selon lui, veulent la guerre. Interrogé sur les décisions prises par le sommet arabe du Caire, Najjab répond : "En réalité, le président Moubarak n’a pas laissé au monde arabe le temps de prendre la moindre initiative pour rechercher une solution. Au contraire, il a donné une couverture arabe à l’invasion américaine."

Discours de Mikhaïl Gorbatchev : l'URSS s'en remet à l'ONU.
Le président soviétique Mikhaïl Gorbatchev déclare à Odessa, où il assisteà des manoeuvres militaires, que l’ URSS entend agir "uniquement dans le cadre d’actions collectives" pour trouver une issue au conflit dans le Golfe Arabo-persique. Il se prononce pour l’utilisation de moyens politiques pour empêcher l’évolution de la crise vers une confrontation militaire d’envergure. "Nous comptons, ici, sur la raison et le sens des responsabilités des Etats arabes et de leurs organisations régionales, nous nous en remettons aux pouvoirs et aux droits de l’organisation des Nations Unies et de son Conseil de sécurité. (...) Il importe non seulement d’arrêter les opérations militaires, mais aussi, de ne pas les laisser s’élargir à d’autres pays. il importe de rétablir le respect du droit international", déclare le président soviétique. Il ajoute notamment : "De fait, nous n’avons pas eu de choix, tout comme la plupart des autres Etats. Le recours à la force pour changer des frontières, et ce, de surcroît, avec l’objectif d’annexion d’un pays souverain, renferme le risque d’une réaction en chaîne dangereuse pour la communauté internationale. Réagir autrement aurait été d’autant plus inacceptable pour nous que l’agression a été perpétrée à l’aide de nos armes, que nous avions accepté de vendre à l’Irak uniquement pour qu’il puisse maintenir son potentiel de défense, et non pour qu’il occupe des territoires appartenant à d’autres, voire des Etats tout entiers".

Interview de l'ambassadeur d'Irak en France sur FR3 : le blocus est un acte de guerre.
Invité sur le plateau du 19/20 de la télévision française, Abdul Razzak Al-Hachimi, ambassadeur d'Irak en France, revient sur les dernières déclarations de Saddam Hussein. "Lorsqu'il parlait de milliers d'américains "renvoyés dans leur pays en cercueil", Saddam Hussein faisait allusion aux pertes militaires qu'entraînera cette guerre ..." explique-t-il. Pour lui, l'objectif des USA n'est pas de défendre le Golfe : "Les américains ne défendent pas le Koweit, ils sont en train d'occuper les champs pétrolifères du Golfe pour contrôler l'Europe, car ils n'ont plus l'OTAN pour le faire ..." Interrogé sur le devenir des otages occidentaux, l'ambassadeur se veut rassurant : "Si nous rassemblons les [civils] américains et britanniques c'est pour leur sécurité ..." La réponse donnée par les Occidentaux, à savoir un embargo, lui semble disproportionnée. "Le blocus est un acte de guerre, expliquet-t-il. Mais pendant que George Bush empêche le pétrole irakien d'arriver en Europe, du pétrole irakien est déchargé dans les ports américains sous prétexte que ce sont d'anciens contrats ... et le lait destiné aux enfants irakiens est bloqué en Turquie, alors qu'il s'agit aussi d'anciens contrats ..." Et de poursuivre : "La Jordanie n'est pas impliquée dans la décision de blocus du conseil de sécurité de l'ONU ... si elle l'appliquait ce ne serait pas conforme au droit international, ce ne serait ni équitable ni humanitaire. Même si le port d'Aqaba est fermé nous survivrons, mais combien de temps les Européens et les Américains survivront-ils sans notre pétrole ? Attendons et nous verrons qui survivra ..." Questionner enfin sur le non-respect par les Irakiens des Droits de l'Homme au Koweït, Al-Hachimi répond : "Les rumeurs d'exactions commises au Koweit visent seulement à discréditer les soldats irakiens..."

En bref :
   

Le gouvernement koweïtien en exil en Arabie Saoudite invite tous les pays de l'OPEP à augmenter leur production de pétrole "s'ils le peuvent". Une mesure qui pourrait aider à financer un éventuel conflit.

La séance à la bourse de Paris s’achève sur un recul de 3,39% de l’indice CAC 40 qui, au plus bas de la séance, affichait une perte supérieure à 4,2%, et à la fermeture enfonçait le seuil des 1700 points, qu’on considère comme critique. Cette baisse fait suite à une chute de 1,6% de Wall Street à son ouverture. Depuis le début du mois, la chute atteint près de 17%, soit la baisse la plus forte depuis le krach d’octobre 1987 (21,19%).

Le gouvernement des Pays-Bas se déclare favorable, dans un communiqué, à ce que la flotte multinationale envoyée dans le Golfe soit placée sous le commandement de l’ONU.

Le ministère norvégien de la Défense annonce que les USA ont décidé de retirer leurs forces de l’exercice Teamwork-90. Les 6.000 soldats américains qui devaient y participer aux côtés de l’armée norvégienne ont été envoyés en Arabie Saoudite. D’autre part 4.500 soldats américains ne prendront pas part à un exercice en RFA baptisé Bold Guard.

7 personnes soupçonnées d’avoir livré illégalement à l’Irak du matériel destiné à la production de gaz de combat ont été arrêtées en RFA. Un agent des services d’espionnage ouest-allemands (BND), Al Kadhi, figure au nombre de ces personnes ainsi que des employés du trust Preussag, des firmes chimiques Water Engineering Trading et Piloplant.

L’Inde appelle au retrait des troupes irakiennes du Koweït et au rétablissement du statu quo dans l’Emirat, déclare aujourd'hui le Premier ministre Vishwanath Pratap Singh. Il se déclare opposé à la force comme moyen de règlement des conflits.

Zhu Liang, responsable des relations internationales du Parti communiste chinois, exprime "l’espoir que l’Irak retirera ses troupes du Koweït aussi rapidement que possible, en réponse à l’appel de la communauté internationale". Zhu Liang dénonce l’ampleur du dispositif militaire américain en Arabie Saoudite, et estimé que "les querelles dans le Golfe devraient être réglées pacifiquement au sein de la communauté arabe. L’intervention militaire des grandes puissances compliquera encore plus la situation", conclut-il.

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

Georges Marchais, homme politique français : "Il est temps que la raison l’emporte... L’heure est à la négociation".
Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller pour la sécurité nationale de Jimmy Carter : "Le véritable intérêt vital des Etats-Unis dans la crise du Koweït est d’assurer que le Golfe est pour l’Occident industrialisé une source stable et sûre de pétrole à un prix raisonnable" (Quotidien américain Washington Post).
Javier Perez de Cuellar, secrétaire général de l'ONU : L’utilisation de la force militaire pour imposer des sanctions contre l’Irak et "toute intervention, d’où qu’elle vienne" relevant d’une action de blocus sont "une violation du texte et de l’esprit de la Charte des Nations unies. (...) Pour l’heure, nous ne travaillons que sur les sanctions économiques" contre l’Irak.
Alî Sahadî Mahdî, chef du Conseil National irakien : "Les ressortissants des pays des forces alliées seront détenus dans des lieux militaires et civils".
Joseph Sisco, ancien sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires politiques de Gérald Ford : "D’un point de vue stratégique à long terme, il serait prudent pour le président d’agir d’une manière aussi expéditive que possible" et d' "internationaliser davantage le conflit" (Quotidien américain Washington Post).

 

L’agence de presse iranienne IRNA rapporte les propos de Haydar Haydari qui, avec un groupe de ses 100.000 compatriotes résidant au Koweït, a gagné l’Arabie Saoudite puis Chiraz, via le Qatar. Selon lui, "tout le monde circule librement dans les rues à l’exception des femmes et des Koweïtiens". Les quelques poches de résistance ont été éliminées en raison de l’omniprésence des troupes irakiennes.

 

Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

Gallerie de photos
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En vidéo


Les otages occidentaux - interview de l'ambassadeur d'Irak en France (26 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 17 août 1990


La crise du Golfe (14 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 17 août 1990