lundi 13 août 1990

Le Clemenceau appareille pour le Golfe.
L'armée française fait savoir que la frégate de lutte anti-sous-marine Montcalm entre dans le canal de Suez. Ce bâtiment, avec à son bord 220 hommes, est armé de missiles mer-mer Exocet et anti-aériens Crotale. A Toulon, le Clemenceau, transformé pour la mission Salamandre en porte-hélicoptères, part pour le Golfe. Première escale : Djibouti (capitale de l'Etat du Djibouti) puis Yambu, en Arabie Saoudite. Le porte-avions transporte 4 Alizés et des hélicoptères (4 Puma et 36 Gazelle) de la 4ème division aéromobile, une des composantes de la Force d'Action Rapide. Il est escorté du croiseur anti-aérien Colbert et du pétrolier-ravitailleur Var. Ce sont 2.650 hommes, dont 900 militaires de la FAR, qui partent pour le Proche-Orient. Mais l'envoi de ce porte-avions, qui avait déjà navigué dans les eaux du Golfe en 1987 et 1988 lors de la guerre Iran-Irak, a plus une portée diplomatique et politique que militaire...

Interview de James Baker sur ABC : l'usage de la force pour faire respecter l'embargo.
"Nous tirerons sur tout bateau qui refusera de s’arrêter." Cette déclaration d’un haut responsable du Pentagone, publiée par le Washington Post, en dit long sur la volonté des USA d’en découdre avec l’Irak et les risques d’explosion qu’elle comporte. Cette déclaration n’est pourtant pas une parole en l’air d’un irresponsable. Elle a été confirmée par le secrétaire d’Etat James Baker en personne. Il lui a même trouvé ce qu’il a appelé un peu vite une "justification légale". "Nous avons maintenant une requête formelle du gouvernement légitime du Koweït de prendre des mesures pour appliquer les sanctions (de l’Onu) et nous avons l’intention de le faire", a-t-il déclaré sur la chaîne de télévision américaine ABC (Le gouvernement koweïtien avait demandé aux USA de s’assurer que l’embargo de l’ONU contre les exportations irakiennes et koweïtiennes est respecté). "Nous espérons que d’autres pays participeront, et beaucoup d’autres pays ont dit qu’ils aimeraient que ces sanctions soient respectées", a poursuivi James Baker souhaitant notamment que l’Egypte "ferme le canal de Suez à tout bateau à destination de l’Irak ou dont la cargaison doit être acheminée en Irak via le port jordanien d’Aqaba".

La Jordanie s'inquiète.
Les manifestations se sont poursuivies en Jordanie où plus de 80.000 volontaires se sont inscrits pour aller défendre l’Irak en cas d’agression américaine. Le roi Hussein de Jordanie, estimant que la crise atteint, "avec le rassemblement militaire actuel, le seuil du danger d’une explosion généralisée", a ordonné l’ouverture de centres de premiers secours et de centres d’entraînement de la défense civile. Il a également donné des instructions pour permettre l’entraînement de l’armée populaire dans les différentes villes du pays.

Embargo pétrolier : 2 poids, 2 mesures ?
En application de l’embargo, un pétrolier irakien, le Qadissiah, a été empêché de prendre livraison de sa cargaison de pétrole sur le terminal pétrolier saoudien de Yanbu, sur la mer Rouge. Par contre, un autre pétrolier chargé d’un million de barils de brut irakien a pu décharger hier sa cargaison à proximité d’une raffinerie de Mobil Oil sur la rivière Delaware (USA). Elle y sera légalement pompée et raffinée puisque le pétrolier avait quitté la Turquie le 25 juillet, soit bien avant la décision d’embargo.

Conférence de presse de l'ambassadeur irakien à Paris : l'Irak choqué par la France.
Abdel Razzak Al-Hashimi, ambassadeur d’Irak à Paris, déclare avoir été "surpris et peiné" par la position adoptée par les autorités françaises dans la crise actuelle. "Le gouvernement français affirme qu’il agit en toute indépendance, a-t-il notamment estimé au sujet de l’envoi de navires français dans le Golfe. Mais dans la pratique, ça n’est pas possible. Dans une opération d’une telle ampleur, il y a forcément quelqu’un qui coordonne les opérations". "Cette attitude, a-t-il poursuivi, compromet les intérêts de la France dans notre pays, pas seulement pour aujourd’hui, mais aussi pour demain. (...) Un jour ou l’autre, tout cela - le blocus, les sanctions - finira et l’Irak sera toujours une des plus grandes puissances économiques dans la région et même au delà. Nous saurons alors très bien nous souvenir de ceux qui ont participé au blocus contre nous et de ceux qui ne l’auront pas fait." L’ambassadeur a toutefois fait une distinction entre l’attitude de "la troïka Etats-Unis - Grande-Bretagne - Israël" qui a repoussé sans examen les propositions de Saddam Hussein et les autres pays "qui en discutent encore". Le diplomate s’est par ailleurs attaché à dénoncer la manière unilatérale dont les pays occidentaux conçoivent le respect des règles internationales : "La loi internationale doit s’appliquer à tous de la même manière. Ce n’est pas juste d’invoquer la loi internationale et l’ONU dans 1 ou 2 cas et les laisser de coté dans les autres. Quand Israël a annexé le Golan, où était la communauté internationale ? Quand les Etats-Unis ont envahi le Panama pour renverser son président, où était la communauté internationale ?" Al-Hashimi a affirmé que de nombreux "Arabes français" avaient d’ores et déjà manifesté leur soutien à l’Irak et que "plusieurs centaines" s’étaient déclarés volontaires.

Les exclusivités aux journalistes américains.
Un groupe de journalistes et de photographes, tous basés aux USA, ont quitté Washington hier à destination de l’Arabie Saoudite. Ce pays a jusqu’à présent refusé la présence de la presse étrangère sur son territoire. Le Pentagone en a décidé autrement. Il a soigneusement sélectionné ses journalistes. Avant d’arriver à Riyad, ils passeront au quartier général américain à Tampa (Floride) où on leur donnera les dernières instructions avant le départ. Les médias non-américains devront se contenter, comme l’AFP a été contrainte de le faire hier soir, de reproduire les "informations du pool de journalistes américains autorisés à suivre les forces armées américaines dans le Golfe".

Interview de l'ambassadeur saoudien à Paris sur TF1 : la position américaine est uniquement défensive.
Jamil Al Hejailan est l’invité du journal de 20h de la télévision française TF1. Tout au long du journal, il s’est naturellement fait l’avocat de la politique conduite par George Bush dans le Golfe. Tout en refusant de prendre l’engagement que son gouvernement ne décidera pas une augmentation de la production pétrolière, le représentant de la monarchie saoudienne a dû tenir compte de l’opinion publique arabe qui exprime de plus en plus son opposition à l’intervention de Washington et à la trahison de Riyad. L’ambassadeur d’Arabie Saoudite à Paris a assuré : "L’Arabie Saoudite ne permettra pas que son sol soit un point de départ d’une attaque contre l’Irak." Selon lui, la position des USA est purement défensive.

La Turquie s'inquiète.
En Turquie, le gouvernement a obtenu hier, après une séance particulièrement difficile au Parlement, "les pleins pouvoirs pour une éventuelle déclaration de l’état de guerre et l’utiliation des forces armées turques". Le Premier ministre a précisé que son pays "n’avait l’intention d’attaquer personne", mais le vote des pleins pouvoirs lui permet désormais d’accepter l’utilisation des bases militaires turques par des forces étrangères. Les forces aériennes turques ont été placées en état d’alerte. L’Irak a répété, pour sa part, qu’il n’avait aucune intention agressive à l’égard de son voisin et que les rumeurs en ce sens faisaient partie d’une "conspiration internationale contre Bagdad".

En bref :
   

Pour expliquer sa position dans la crise du Golfe, la France envoie 12 émissaires, de divers partis pour montrer le consensus politique du pays, dans 23 pays non alignés et en Turquie. Ainsi, Jean Lecanuet se rendra en Inde et en Turquie et Jean-François Poncet en Jordanie.

Les autorités saoudiennes empêchent un pétrolier irakien d'accoster au terminal saoudien de Yambu, sur la mer Rouge. Il venait prendre livraison de sa cargaison de pétrole.

Un Boeing 727 cargo de la compagnie nationale du Qatar décolle de Paris avec à son bord une cargaison de masques à gaz de fabrication française.

La Belgique annonce l'envoi en Méditerranée de 2 dragueurs de mines l'Iris et le Myosotis, et d'un navire de soutien : le Zinnia. Départ prévu le 17 août depuis le port de Zeebruge. Le Pakistan, les Pays-Bas et l'Australie annoncent également l'envoi de troupes et de navires de guerre dans le Golfe

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

Jean-Marie Le Pen, homme politique français : "Vraiment, nous n'avons rien à faire dans ce boutre !" (Quotidien français Le Figaro).
Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires étrangères : L’interception par les USA de pétroliers irakiens constituera "un acte d’agression contre l’Irak" et notant qu’un tel acte "s’inscrit dans le cadre d’un blocus, ce qui n’a pas été décidé par l'ONU. Toute tentative de la part de n’importe quel pays membre de l’OPEP de faciliter le boycott (de l’Irak) sera considérée comme étant un acte agressif".
William Waldegrave, secrétaire d’Etat au ministère britannique des Affaires étrangères : La Grande-Bretagne prendra "les sanctions qui s’imposent (...) s’il y a des preuves de la violation des sanctions prises par l’ONU".
Le porte-parole du ministère soviétique des Affaires étrangères : "L'URSS poursuit ses contacts avec l’Irak à tous les niveaux pour qu’il comprenne que sa façon d’agir n’est pas constructive."
Les autorités irakiennes appellent les Egyptiens à "se soulever contre la traîtrise du président Moubarak" qui a envoyé des troupes en Arabie.

 

Quotidien japonais Asahi : Le Japon pourrait envisager une participation financière à la force multinationale dans le Golfe, à défaut d’une contribution militaire. Le Japon s’est toujours abstenu d’envoyer des militaires hors de ses frontières pour respecter le caractère purement défensif des forces japonaises fixé par la Constitution.
Le quotidien israélien Jerusalem Post propose de choisir entre "Kowak" et "Irait" pour désigner le nouvel Etat du Koweït. Il demande à ses lecteurs de lui envoyer leurs suggestions, tout en précisant que ce n’est pas un concours.

 

Sondage :

Sondage israélien : 62% des Arabes d’Israël considèrent le président irakien comme "un héros national arabe".

 

Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

Gallerie de photos
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En vidéo


Les premières images de l'invasion du Koweït (4 minutes)
TVNZ - Télévision néo-zélandaise (extrait en anglais) - 13 août 1990


Départ du Clemenceau pour le Golfe   (26 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 13 août 1990


La crise du Golfe (14 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 13 août 1990