vendredi 24 août 1990

L'armée irakienne assiège 10 des 68 ambassades étrangères de Koweït-City.
"Des soldats patrouillent autour de nos locaux" explique le gouvernement japonais. Les troupes irakiennes encerclent en effet 10 des 25 consulats et ambassades étrangers de Koweït-City dont les pays ont refusé l'évacuation. Il s'agit des ambassades des USA, de France, de Suède, de Bulgarie, de Grande-Bretagne, de Norvège, de RDA, du Japon, de Hongrie et de Roumanie. L'Irak explique que le maintien d'ambassades ouvertes à Koweït-City sera considéré comme "un acte d'agression". L'heure est plutôt grave. La Norvège ignore "combien il y a de militaires ainsi que leurs intentions, mais il doit y en avoir beaucoup". L'URSS annonce l'évacuation de tout son personnel diplomatique, mais précise qu'en termes de normes internationales, l'ambassade soviétique, même désertée, n'est pas fermée. "Tous nos ressortissants, explique le Kremlin, sont depuis hier en URSS". Dans un message adressé à Saddam Hussein, Mikhaïl Gorbatchev juge la situation dans le Golfe comme "extrêmement dangereuse". Les USA et la CEE refusent le "diktat" de Bagdad. Les USA préfèrent tout de même réduire leur personnel diplomatique au strict minimum : 30 véhicules ont conduit 110 Américains (dont 30 enfants) de l'ambassade américaine de Koweït-City à celle de Bagdad. Arrivés dans la capitale irakienne, ils deviennent monnaie d'échange : ils pourront en effet quitter l'Irak lorsque l'ambassade américaine au Koweït sera fermée... La CEE demande la convocation d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU et propose l'envoi d'émissaires pour assurer la protection des enceintes diplomatiques. Mais devant le refus de la plupart des pays d'évacuer leurs ambassades, l'armée irakienne coupe l'eau, l'électricité et le téléphone de plusieurs représentations. Pourtant, Saddam Hussein n'entreprend pas de déloger par la force les diplomates comme il avait menacé de faire hier. Cependant, et contrairement aux accords internationaux de Genève, il rappelle aux diplomates qu'abriter des étrangers en vue de les cacher aux autorités sera considéré comme un crime d'espionnage et puni de mort.

Jean-Pierre Chevènement en visite à Djibouti.
Alors qu'il est fortement critiqué dans la presse française, Jean-Pierre Chevènement se rend aujourd'hui à Djibouti. Presque incognito. Cette visite du ministre français de la Défense s'effectue sans journaliste, officiellement pour ne pas froisser les autorités locales. En effet, le président djiboutien, Hassan Gouled Aptidon, n'apprécierait pas qu'on qualifie son pays, ancienne colonie française, de "base arrière" des troupes françaises. Malgré la présence de plus de 3.000 soldats français et de nombreux navires de guerre, dont le porte-avions Clemenceau, qui fait escale à Djibouti pour permettre aux marins de s'acclimater à la chaleur (45°c à l'ombre ! ) avant d'appareiller pour le Golfe. L'arrivée du Clem' en début de semaine a bouleversé les habitudes de la population locale. Ainsi, depuis le début de la semaine, les marchands ambulants, souhaitant profiter de la manne financière de l'armée française, ont considérablement augmenté leurs tarifs. Le prix des cigarettes, par exemple, a été multiplié par 3 en quelques jours !

Radio-France à l'affût des augmentations du prix de l'essence.
France-Inter
et France-Info organisent une opération dite "vérité des prix" du carburant. Toute la journée, les automobilistes sont invités à apporter leur témoignage en appelant Radio-France. De 19h15 à 20h, ils pourront en outre poser leurs questions aux participants à l’émission Le téléphone sonne : Jean Taillardat, secrétaire général d’Esso-France, Jacques Bouvet, président de l’Agence française pour la Maîtrise de l’Energie et Michel-Edouard Leclerc, dirigeant de l'enseigne de grande distribution du même nom. Aux USA aussi on s'inquiète de l'augmentation du prix de l'essence. Le département américain de la Justice a annoncé ainsi avoir convoqué les grandes compagnies pétrolières dans le cadre d’une anquête antitrust concernant la flambée des prix de l’essence et du fuel depuis l’invasion du Koweït. L’attorney général adjoint James Rill qui mène l’enquête, soupçonne des connivences ou un quelconque comportement anti-concurrentiel.

Interview de l'ambassadeur du Yemen en France dans L'Humanité : il faut éviter la guerre.
Dans une interview accordée au quotidien français L'Humanité, Ali Muthana Hasson explique : "Il y a toujours une possibilité de négocier. Il faut que le problème soit résolu par les Arabes" Pourtant, l'ambassadeur yéménite regrette l'envoi de contingents militaires arabes dans le Golfe, ce qui "rend le dialogue plus difficile" avec l'Irak, mais "pas impossible". Cette intervention militaire arabe est une "mesure purement défensive". Hasson souhaite toujours une issue pacifique à la crise : "Il faut à tout prix éviter la guerre, la catastrophe" insiste-t-il. Et pour cela, "la meilleure chose serait de laisser la recherche d’une solution entre les mains des Arabes et de l’ONU."

L'URSS tente des médiations.
Depuis le début de la crise, l'URSS jour les médiateurs. Roland Dumas arrive aujourd'hui à Moscou. Même si cette visite était prévue de longue date, la crise du Golfe restera le sujet de discussion principal. Le ministre français des Affaires étrangères succède à Saadoun Hammadi, vice-Premier ministre irakien, et le prince saoudien Bandar Bin Sultan, qui ont été reçus cette semaine au Kremlin. Hier, Moscou a même envoyé à Bagdad son ambassadeur itinérant, Mikhaïl Sitenko, pour voir avec Tarek Aziz, le chef de la diplomatie irakienne, les "moyens de désamorcer la crise du Golfe". Ce matin, Mikhaïl Gorbatchev a envoyé un "message personnel urgent" à Saddam Hussein, l’appelant à "respecter sans tarder" les résolutions de l’ONU, pour ne pas "inciter le Conseil à adopter des mesures appropriées". Dans ce texte le Président soviétique a souligné "la nécessité insistante que le gouvernement irakien prenne sans tarder la voie du respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptées en liaison avec l’invasion du Koweit par l’Irak et la situation des citoyens étrangers de certains Etats sur le territoire du Koweit et de l’Irak. Déborder de ces exigences va inévitablement inciter le Conseil de Sécurité à adopter des mesures supplémentaires appropriées", prévient le président soviétique. "Maintenant c’est de la partie irakienne que dépendent les actions futures du Conseil de sécurité", souligne encore ce message qui appelle le président irakien à adopter immédiatement les mesures nécessaires. Caractérisant la situation dans le Golfe d’"exceptionnelle et particulièrement dangereuse", Mikhaïl Gorbatchev confirme "la position de principe de l’URSS sur l’illégalité de l’annexion du Koweit". De son côté, la presse soviétique est plutôt pessimiste. La Pravda titre : "On ne voit pas d’issue". On est "au bord de l’explosion" selon Zvesda, journal de l’armée, qui précise : "La situation dans le Golfe ne cesse de s’aggraver. Apparaît le danger de l’emploi des armes chimiques et tactiques nucléaires, ce qui aurait des retombées imprévisibles pour le monde entier."

Débat au sein du Conseil de sécurité.
Thomas R. Pickering, ambassadeur des USA à l’ONU, est revenu, hier soir, sur sa déclaration précédente selon laquelle il affirmait qu’un accord existait entre les 5 membres permanents du Conseil de sécurité (USA, Grande-Bretagne, France, URSS, Chine) sur un projet de résolution autorisant l’usage d’"un minimum de force" afin de faire respecter l’embargo contre l’Irak. Dans une nouvelle intervention, il a reconnu : "Il appartient à nos gouvernements de répondre" quant au contenu du texte, après avoir affirmé : "Je n’ai jamais dit que nous étions d’accord sur un projet." Son homologue soviétique, Valentin Lozinskiy, avait confirmé un peu plut tôt que le projet lui-même n’avait pas été adopté par les 5, en soulignant : "Il ne l’est pas. Non. Non. C’est une fausse impression". La réunion des 15 membres du Conseil de sécurité dont la date n’a pas été arrêtée hier pourrait cependant avoir lieu "cette semaine, probablement", a ajouté le diplomate soviétique.

Interview de Jean-Pierre Chevènement dans L'Est Républicain : il faut éviter la guerre.
Jean-Pierre Chevènement, ministre français de la Défense, se défend dans le quotidien français d’avoir "traîné les pieds" dans la mise en oeuvre des décisions militaires prises en Conseil restreint et s’il affirme "appliquer scrupuleusement" la politique définie par le président de la République, Chevènement n’en adresse pas moins une mise en garde aux partisans d’une guerre contre l’Irak : "Je ne partage pas certains emportements de l’opinion. Pour 2 raisons : premièrement, je connais un peu "l’Orient compliqué" : une guerre le rendrait effroyablement simple, de l’Atlantique au golfe Persique. Deuxièmement, je suis bien placé comme ministre de la Défense pour apprécier ce que seraient les ravages d’une guerre à la fois ultra-technologique et effroyablement archaïque, qu’un embargo efficace peut, peut-être encore éviter, en amenant l’Irak à résipiscence, ce qui est la position de la France." Autrement dit, les conséquences politiques comme les effets meurtriers d’un éventuel conflit seraient "effroyables". Le ministre de la Défense invoque ensuite un autre fait qui n’est sans doute pas étranger à la retenue observée dans de nombreuses prises de position : "L’amitié et la coopération avec le monde arabe, du Maroc au golfe Persique, répondent à l’intérêt national. (...) Garder vivante cette relation est, à l’heure de la réunification allemande, la seule chance de maintenir notre pays, dans l’avenir, comme grande puissance européenne et mondiale." Reste à souhaiter que Chevènement s’avise que la politique d’intégration européenne qu’il a toujours soutenue voue la France à n’être plus qu’un satellite de l’Allemagne, quoiqu’il arrive au Moyen-Orient... Au reste, cette relative modération du ministre de la Défense procède sans doute avant tout des analyses qui prédominent dans les états-majors. De nombreux observateurs ont en effet noté la réserve de la plupart des généraux qui se sont exprimés jusqu’à présent. Dans les colonnes du quotidien français Les Echos, l’amiral Lacoste insistait sur la nécessité de "laisser des portes ouvertes et éviter l’irréversible". Pour l’ancien directeur de la DGSE qui préside actuellement le comité de liaison Défense-Armée-Nation, il faut "privilégier les solutions de type embargo" afin d’éviter un conflit ouvert. Force est de constater que les "emportements" restent essentiellement l’apanage de certains médias. Libération aura mérité une palme particulière à cet égard. Dans l’éditorial qu’il consacre aux ressortissants occidentaux toujours retenus en Irak, son directeur, Serge July, semble n’avoir qu’une préoccupation en tête : préparer ses lecteurs à une tragédie d’autant plus probable dans son esprit que le correspondant de son journal en Israël affirme par ailleurs qu’"à Jerusalem, on ne se pose pas la question de savoir si George Bush donnera ou non l’ordre d’attaquer, mais plutôt quand."

En bref :
   

4 pilotes irakiens en stage en France sont interpellés par la police française, dont l'un à Orly Sud, après s'être échappés de la base aérienne de Rochefort où ils avaient été regroupés.

Le Président iranien Rafsandjani surprend tout le monde, et plus particulièrement Saddam Hussein, en annonçant qu'il ne voit aucune objection à l'intervention des troupes étrangères pour chasser les Irakiens du Koweït, à condition qu'elles quittent ensuite la région.

Ils ont dit :
 
Sondages :

Mikhaïl Gorbatchev, président de l'URSS : "Que le gouvernement irakien prenne sans tarder la voie du respect des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU".
Kenneth Timmerman, éditeur de Mednews, lettre spécialisée dans les questions militaires du Moyen Orient : Si la guerre éclate, "les Irakiens peuvent tenir de une semaine à 10 jours" (Quotidien français Le Parisien).

Lu dans la presse :

Quotidien soviétique La Pravda : "Le comportement de Bagdad changerait-il s’il disposait non pas de chars soviétiques mais français ou chinois ?"

 

Sondage SOFRES - RTL - Le Figaro : 48% des Français condamneraient les USA "s’ils décidaient de lancer une opération militaire contre l’Irak", contre 43% qui approuveraient. 51% (contre 38%) estiment que l'Occident devrait "faire des concessions à Saddam Hussein pour tenter d’obtenir la libération des otages". 48% déclarent s’attendre "à la mise en place d’une solution diplomatique (...) dans un avenir proche", contre 30% qui redoutent une guerre et 15% qui misent sur le "maintien du blocus sans affrontement militaire". Enfin, 75% approuvent l’action de François Mitterrand depuis le début de la crise.

Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

Gallerie de photos
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En vidéo


Le siège des ambassades (25  minutes)
Interview de l'ambassadeur du Koweït en France
FR3 - Journal de 19h30 - 24 août 1990


La crise du Golfe (14 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 24 août 1990