mardi 21 août 1990

La position de la France se durcit à l'égard de l'Irak.
Lors d'une conférence de presse sur la crise du Golfe, François Mitterrand explique en direct à la télévision que"nous sommes pour l'instant, et à la suite de la responsabilité prise par le président irakien, dans une logique de guerre". Et pour y faire face, le chef de l'Etat français annonce l'envoi d'instructeurs chargés de l'entretien des Mirage koweïtiens ayant fui l'invasion et de 200 parachutistes à Abu Dhabi, ainsi qu'une réunion extraordinaire du Parlement le 27 août prochain. Pour l'heure, comme le précise le président français, "toute la difficulté consiste à savoir si on peut sortir [de cette logique de guerre] sans renoncer aux objectifs fondamentaux que représente la défense du droit". Désormais, les chances d'ossue pacifique à la crise sont bien minces. "Nous souhaitons bien entendu que la diplomatie finisse par prévaloir. Mais nous ne nous faisons pas d’illusions, au point où nous en sommes" a poursuivi le chef de l'Etat La position de la France s'était quelque peu démarquée de celle des USA et de la Grande-Bretagne ces derniers jours à propos de l'usage de la force pour faire appliquer l'embargo. Mitterrand insiste donc désormais sur le fait qu'un "embargo sans sanction ne serait qu'un simulacre". Il tient également à démentir la rumeur selon laquelle la France agirait en solitaire en vue d'obtenir la libération de ses ressortissants.

C'est un véritable exode qui se déroule aux frontières jordaniennes.
Des milliers de personnes, essentiellement des Egyptiens et des Soudanais, tentent de fuir l'Irak. Bon nombre d'entre eux raconte comment les Irakiens confisquent systématiquement tout appareil électronique. L'objectif de ces réfugiés est d'atteindre Amman ou Aqaba, en Jordanie. Depuis l'invasion du Koweït, plus de 150.000 personnes ont déjà transité par le poste frontière d'Al-Ruweished.

L'URSS tente des médiations.
L’URSS pourrait bien proposer sa médiation aux Occidentaux et à l’Irak dans l’affaire des ressortissants étrangers résidant à Bagdad. C’est ce qui ressort des propos qu'Edouard Chevardnadzé, ministre soviétique des Affaires étrangères, tient au terme de sa rencontre avec Saadoun Hammadi, vice-premier ministre d’Irak. "Nous nous soucions non seulement de nos gens mais aussi des ressortissants d’autres Etats. Nous estimons que c’est également notre devoir, comme de tout autre pays civilisé, que de tenir compte des intérêts des autres Etats, des autres peuples, de chaque citoyen de tout pays, de chaque peuple et ethnie", déclare le Soviétique. Le communiqué de l’agence Tass précise que sa rencontre avec l’envoyé irakien a donné lieu à "un entretien important et très prolongé" sur la situation des ressortissants étrangers qui se trouvent actuellement au Koweït, en Irak et dans la région. La discussion sur cette question est qualifiée de "très utile", "constructive", et il a été décidé de poursuivre les consultations en la matière. L’évacuation des Soviétiques du Koweït continue à s’effectuer sans encombre. "Nous ne sommes pas trop inquiets à ce sujet", indique Chevarnadzé, "les autorités irakiennes nous accordent leur soutien et coopèrent avec nous afin que l’évacuation se passe normalement, sans difficultés ni complications." Evoquant les dernières déclarations du président irakien, le chef de la diplomatie soviétique indique : "Je crois qu’il y a là des éléments qui sont à remarquer. Nous déployons actuellement une activité très intense au niveau des experts. Nous sommes en train d’étudier tous les détails, tous les éléments de l’intervention du président irakien. Plus tard, nous réagirons de façon appropriée... Nous connaissons la réaction négative de nombreux Occidentaux à cette intervention du dirigeant irakien. Notre première impression est néanmoins qu’il y a dans cette intervention des éléments qui méritent la plus sérieuse attention." Un peu plus tard Youri Gremitkikh, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, précise que l’URSS note "la disposition exprimée par les dirigeants irakiens à résoudre la crise par voie diplomatique. (...) L’Irak est prêt à accepter que la sécurité de l’Arabie Saoudite soit garantie par une force multinationale sur la base d’une résolution de l’ONU. Cette disposition mérite notre attention. Nous ne pouvons cependant pas ne pas constater que la première raison de la crise - l’occupation du Koweït par l’Irak - est pratiquement laissée de côté". Les 2 thèmes abordés dans les entretiens soviéto-irakiens figurent sans aucun doute à l’ordre du jour des entretiens que l’envoyé spécial soviétique dans les pays arabes, Mikhaïl Sytenko, a d’ores et déjà eu avec le président syrien, le vice-premier ministre égyptien, les dirigeants libyens et yéménites, où qu’il doit avoir en Jordanie, en Irak "et peut être dans d’autres pays arabes".

Interview de Claude Cheysson sur FR3 : une guerre "extrêmement dangereuse".
Claude Cheysson, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Mauroy, estime sur la télévision française FR3, que "l’on parle trop d’acte de guerre, et de raid pour punir Saddam Hussein", qualifiant "d’extrêmement dangereuse" cette orientation. "Si on se met en situation de guerre, il faut tuer pour la gagner", souligne M. Cheysson. "Or, on ne va pas gagner une guerre contre un peuple, surtout si cette guerre est déclenchée par les Américains à la faveur d’un bombardement, car à ce moment là, nous aurons l’unanimité des Arabes contre nous", ajoute-t-il. L’émissaire du chef de l’Etat précise d’autre part le contenu du message que François Mitterrand lui avait demandé de transmettre au président de l’OLP Yasser Arafat, lors de sa mission à Tunis. Il s’adressait au président irakien, pour lui demander qu’il "ne fasse pas l’erreur politique de commettre une nouvelle violation de droit international en retenant des étrangers prisonniers".

L’OTAN manque d'hommes.
Les exercices Bold Guard 90, des manoeuvres de l’OTAN qui devaient avoir lieu du 25 septembre au 15 octobre au Danemark et en RFA avec la participation de troupes américaines, britanniques, ouest-allemandes et danoises, ont été annulées. Cette décision est liée à l’engagement militaire américain dans le Golfe, le nombre des participants éventuels ayant chuté à 22.000 alors que 55.000 soldats étaient initialement prévus.

Inquiétudes dans le monde sur le sort des otages occidentaux.
La radio française France-Info donne la parole à Gérard Levotre, père d’un jeune Français retenu en otage en Irak et dont il est sans nouvelles. "Nous avons un message à faire passer", déclare-t-il. "Nous avons peur, nous craignons que l’escalade de la guerre n’aille jusqu’à une catastrophe. Nous souhaitons que se crée un grand mouvement d’opinion en faveur d’un règlement pacifique du conflit, afin de faire pression, s’il en est besoin, sur nos gouvernants pour éviter la catastrophe. A notre sens, il ne suffit pas de ne pas vouloir la guerre. Il faut la refuser. Nous avons des craintes vis-à-vis de l’attitude des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, on ne voudrait pas que la France s’aligne sur ces positions. Philippe est un garçon équilibré, mais quelles sont les conditions de détention ? Quelles informations reçoit-il ? (...) Comment vit-il ? Certainement dans l’angoisse." Depuis 2 jours, 33 Français ont été emmenés depuis des hôtels de la capitale irakienne où ils étaient retenus, parmi une centaine de personnes, Américains et Britanniques compris, pour servir de "boucliers humains" en cas d’attaque des USA. D’autres risquent de l’être parmi les 469 Français encore présents au Koweït et en Irak. Un certain nombre d’étrangers ont réussi à quitter l’Irak avant la déclaration faite par Sadamm Hussein, confirmant que les Occidentaux sont désormais traités comme les Américains et les Britanniques. 5 Français sont arrivés ce matin en France, venant d’Amman à bord d’un vol régulier. Il s’agit de 2 femmes, membres du personnel de l’ambassade de France à Bagdad, accompagnées de 2 enfants, qui bénéficiaient d’une protection diplomatique et d’un coopérant français en Irak, Didier Isnard. Celui-ci a déclaré avoir quitté Bagdad à la fin de sa période de coopération et n’avoir "jamais eu peur", ajoutant : "Les Irakiens de la rue sont gentils avec les Français." L’une des 2 femmes a eu cette remarque : "Je ne suis inquiète que lorsque j’écoute les radios étrangères." Amnesty International avait réclamé hier la libération immédiate de tous les étrangers détenus en Irak et au Koweït. L’organisation humanitaire est préoccupée par les projets irakiens de détenir les 13.000 étrangers originaires de 20 pays se trouvant actuellement en Irak. Elle en a appelé notamment à l'ONU. 125 ressortissants britanniques ont été interpellés. 75 d’entre eux ont été dispersés dans des "installations clés non-militaires" par les forces irakiennes occupant le Koweït. La RFA est sans nouvelles de 11 de ses ressortissants dont 3 au moins auraient été emmenés vers une destination inconnue. Des étrangers originaires de divers pays qui n’ont pas envoyé de troupes dans le Golfe ont pu être rapatriés ou sont en route vers leur pays respectif notamment via la Jordanie. 5.000 personnes sont déjà arrivées dans ce pays. Parmi eux il y a de nombreux Egyptiens, quelques centaines d’Indiens, 351 Soviétiques, 300 Polonais, 163 Hongrois et 60 Brésiliens, des Roumains, des ressortissants de pays arabes et 80 fonctionnaires de l'ONU de différentes nationalités. Certains sont immédiatement repartis par avion, comme les Soviétiques, surtout des employés de la construction et de l’industrie pétrochimique. Par ailleurs, d’autres étrangers ont été autorisés à quitter le Koweït comme les Pakistanais, dont près de 5.000 ont déjà fui vers l’Arabie Saoudite, 120 Suédois, 23 Néerlandais, 43 Suisses, et près de 70 Autrichiens alors que 83 Néerlandais sont retenus au Koweït. Un fonctionnaire de l’ONU a d'ailleurs déclaré : "On ne sait pas qui peut quitter Bagdad. Les règles changent tous les jours."

La CEE rejette l'ultimatum de l'Irak.
Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des 9 pays de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO) se réunissent à Paris, à l’initiative de la France, pour "examiner les conséquences pour les pays membres de la crise du Golfe, ainsi que les formes de coopération qu’ils pourront établir entre eux". Ces ministres ont trouvé un point d’accord pour rejeter l’ultimatum lancé par l’Irak enjoignant aux ambassades étrangères au Koweït de fermer dans un délai de 5 jours. L’Italien Gianni de Michelis, président en exercice du Conseil des ministres de la CEE, a indiqué au cours d’une conférence de presse qu’il était demandé aux diplomates des Douze en poste au Koweït "de rester sur place en tant que représentants de nos gouvernements". A propos des étrangers retenus à Bagdad et à Koweït, les Douze ont exprimé leur "indignation" devant les intentions annoncées par l’Irak. Michelis a cependant précisé : "Nous nous refusons toujours à employer le terme d’otages, car nous espérons toujours que l’action diplomatique et politique peut modifier la situation actuelle.

L'effondrement des places boursières.
Lors d'un discours radio-télévisé, François Mitterrand invite les milieux boursiers à "modérer leurs angoisses". La Bourse de Paris a en effet chuté de 3,19% hier. Ce soir, le CAC 40 s’achève sur une baisse de 4,06%. Au plus noir de la journée, la chute a atteint 5,2%. Les baisses sont générales : Tokyo - 0,73%, Londres - 1,8%, Francfort - 5,24%. Seule New York est en hausse, mais de 0,4% seulement. Depuis le début du mois d'août, la baisse du CAC 40 atteint 18%, contre 14% à Tokyo, 10% à Londres et 9% à New York. Lesinvestisseurs françaissemblent être les plus peureux...

En bref :
   

Pour protester contre la capture par les Irakiens de 220 de ses ressortissants, l'Espagne envoie à son tour des forces navales dans le Golfe.

La Syrie annonce qu'elle enverra des soldats en Arabie Saoudite aux côtés de la coalition, sans en dire le nombre.

Les USA commencent le déploiement de leurs chasseurs bombardiers F-117 Stealth.

Ils ont dit :
 
Lu dans la presse :

Roland Dumas, ministre français des Affaires étrangères : "On ne négocie pas avec les preneurs d'otages".
Tarek Aziz, ministre irakien des Affaires étrangères, à Amman (Jordanie) : l'Irak est "prêt à discuter de la situation dans le Golfe si les Américains le sont".
Jacques Baumel, député français de retour d'une mission militaire aux USA : "Si Bush n’intervient pas dans les quelques jours qui viennent, il aura perdu en grande partie sa crédibilité dans ce monde oriental..."
George Bush, président des Etats-Unis : "Je tiens le gouvernement irakien pour responsable de la sécurité et du bien-être des citoyens américains retenus contre leur gré".
Pierre Gille, président du Syndicat National des Pilotes de Ligne français : Les avions qui survolent le Golfe se mêlent au trafic militaire "particulièrement dense en ce moment".

 

Le quotidien français Le Figaro, dans l'éditorial intitulé "Inutile souplesse" se demande si la France, comme viennent de le faire les USA, aura le courage de donner l’ordre de tirer. Et de souhaiter que la réponse "mûrement réfléchie" vienne dans les 48h après que François Mitterrand a réuni "sa cellule ministérielle de crise".
Quotidien français Les Echos : "Il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme. C’est peut-être le rôle d’un ami", quand on entend le secrétaire américain à la Défense "déclarer que l’engagement américain dans la région est de longue durée".

Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

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En vidéo


L'embargo international contre l'Irak (26 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 21 août 1990


Conférence de presse de Tarek Aziz (2 minutes)
FR3 - Journal de 22h30 (extrait) - 21 août 1990