mercredi 22 août 1990

Critiques contre le ministre français de la Défense.
Critiqué dans la presse nationale, Jean-Pierre Chevènement est accusé de manquer de solidarité gouvernementale au sujet de la crise du Golfe. "Ce n'est pas notre guerre contrairement aux Etats-Unis, aurait-il confié en privé. Nous n'avons pas signé d'accord de défense avec le Koweït et l'Arabie Saoudite (...). On voudrait que je fasse la guerre sans avoir de mort et que je participe au blocus sans couler - écologie oblige - un tanker". On lui reproche notamment de ne pas avoir écourté ses vacances pour cause de crise internationale. Pour sa défense, il parle de "rumeurs malveillantes". Il se serait même fait "tirer les oreilles" par le chef de l'Etat lors du dernier conseil des ministres, qui aurait envisagé de le "démissionner". Il est vrai que le ministre de la Défense n'a jamais caché ses opinions anti-belligérantes. "Chevènement voulait démissionner du gouvernement, raconte un ministre, car il craint que les militaires français ne prennent un mauvais coup et qu'il en porte le chapeau. Mais les prises d'otages de Saddam Hussein sont venues contrarier son plan. S'il quitte aujourd'hui le gouvernement, il traînera définitivement, comme Chirac, la casserole d'ami de Saddam Hussein". Le canard enchaîné a en effet révélé il y a une semaine que Chevènement était l'un des 12 fondateurs de l'association des Amitiés franco-irakiennes en 1985...

Interview d'un ancien conseiller de Jimmy Carter dans Libération : une guerre pour le pétrole.
Dans le quotidien français Libération, Zbigniew Brzezinski, ancien président du Conseil national de sécurité sous l’administration Carter, dévoile les véritables motivations de l’intervention militaire américaine. Dans un article intitulé "Le véritable intérêt américain dans le Golfe", ce spécialiste de la stratégie économique et militaire explique l’importance pour les USA de la stabilité dans cette région du monde. Il est nécessaire, écrit-il, que le Golfe demeure "une source stable d’approvisionnement en pétrole vendu à un prix raisonnable à l’Occident industrialisé". L’ex-conseiller de la Maison-Blanche se félicite de la promptitude de la réaction de Washington précisant que dans le cas contraire, "il est très probable que l’Irak devenait dès aujourd’hui la puissance dominante de la région et l’arbitre prépondérant du prix mondial du pétrole". Un leadership, exercé par les USA par l’intermédiaire de l’Arabie Saoudite, que les dirigeants américains ne souhaitent à aucun prix voir contester. Et Brzezinski de préciser : "C’est pourquoi l’action unilatérale mais défensive des USA envers l’Arabie Saoudite présente d’ores et déjà l’effet d’assurer pour l’essentiel les intérêts vitaux américains." L’ancien président du Conseil national de sécurité de Jimmy Carter indique qu’il n’est pas question pour les USA de s’engager seul dans cette aventure. Il considère que toute la communauté internationale doit répondre aux volontés expansionnistes de Saddam Hussein et précise que pour son pays, "il est tout particulièrement important d’éviter de devenir l’avant-garde trop visible d’une telle bataille". Brzezinski y voit plusieurs inconvénients. Mais c’est principalement les risques de réactions dans l’opinion publique américaine qui semblent motiver cette réticence. "Tout manquement à la prudence élémentaire en ce domaine, dit-il, pourrait produire toutes sortes de conséquences déplorables. La première de toute serait d’élever considérablement le coût des efforts militaires pour expulser l’Irak du Koweït. Il me paraît douteux que les Américains acceptent des pertes humaines élevées comme prix de la restauration de l’émir du Koweït sur son trône..." Sous entendu, la souveraineté du gouvernement de Riyad (même si sa politique est contestable) n’a que peu d’importance dès lors que les intérêts américains dans la région sont protégés et que les robinets du pétrole restent ouverts. Il semble en effet qu’aux USA, bien qu’une large majorité de l’opinion publique américaine soit toujours favorable à la décision de Bush d’envoyer les GI’s dans le Golfe, certaines voix commencent à s’élever. Selon un sondage NBC - Wall Street Journal publié hier, la plupart des personnes interrogées ne sont pas favorables à la guerre contre l’Irak pour des raisons économiques. "La vie est plus précieuse que le pétrole", pouvait-on lire sur l’une des pancartes brandies par plusieurs centaines de personnes qui manifestaient dans l’Orégon, contre l’envoi des GI's en Arabie Saoudite.

L'URSS poursuit son ballet diplomatique.
Le prince Bandar Bin Sultan Al Saud, ambassadeur aux USA arrive à Moscou. Il rencontre aussitôt le ministre des Affaires étrangères de l’URSS. Edouard Chevardnadzé a notamment demandé de transmettre à la direction irakienne "certaines propositions concrètes pour empêcher que la crise ne dégénère en catastrophe militaire". Selon le porte-parole du ministère, l’entretien porte "sur les possibilités d’empêcher l’extension de la crise et le moyen de trouver une solution politique". De son côté, Alexandre Belogonov, vice-ministre des Affaires étrangères, reçoit Ahmed Maher Al Sayd, ambassadeur d’Egypte en URSS. On fait savoir que des contacts suivis existent avec l’ambassade koweïtienne à Moscou. "Nous excluons un recours à la force et n’envisageons pas une participation soviétique à d’éventuelles actions militaires dans cette région," assure Moscou, insistant sur la priorité au règlement politique partagée par nombre de pays, notamment les non-alignés et l’Irak elle-même. La presse soviétique commente diversement la crise du Golfe. Le journal Izvestia se livre à une vive critique de la direction irakienne. Le quotidien Russie soviétique écrit : "La situation dans la région du golfe Persique est actuellement extrêmement complexe et explosive. Elle exige des actions pondérées et coordonnées de toute la communauté internationale."

La presse française défend la "logique de guerre".
Au lendemain de la déclaration du président sur la "logique de guerre", les réactions sont très vives en France. Plusieurs journaux (Le Figaro, Libération, Le Quotidien de Paris, France-Soir, Le Télégramme de Brest, La Dépêche du Midi, Sud-Ouest, Nice-Matin...) affichent en Une le même gros titre, extrait de la conférence de presse tenue par François Mitterrand : "une logique de guerre". Seul L’Humanité titre "Golfe : tout contre la guerre" pour refuser la fatalité d’une nouvelle guerre. Et la presse française est plutôt va-t-en-guerre. Ainsi, Georges Suffert titre à la une du Figaro : "Paris rectifie le tir, enfin ! » en serrant les rangs derrière Washington. Quant à Serge July de Libération, il écrit : "Amorcée par les Irakiens, la guerre du Golfe est entrée dans la phase du compte à rebours. Une guerre d’un type nouveau qui ne doit rien aux crises de la guerre froide. (...) Le dispositif américain deviendrait effectivement opérationnel, pour tous types d’interventions, à partir de ce week-end. Il ne manque plus que la goutte d’eau irakienne pour enclencher les hostilités." Aux yeux du directeur de Libération, les USA, la France et la Grande-Bretagne qui "avaient dû se contenter d’une gesticulation militaire aux effets désastreux" face à la "prise d’otages de Téhéran" et au "chantage syrien au Liban" doivent maintenant prouver que ces "précédents ne constituent pas une fatalité". Et July de conclure : "La guerre du Golfe n’a pas encore formellement commencé. Elle apparaît pourtant de plus en plus inévitable. Personne n’en connait vraiment le prix mais on peut légitimement penser qu’il sera terrible. La guerre est toujours la pire des solutions. Mais parfois, il n’y en a pas d’autres". Sur les radios françaises, les hommes politiques enchaînent les déclarations pro et anti-guerre. Ainsi, le sénateur Charles Pasqua explique sur RTL que "les pays occidentaux ont une part de responsabilité dans la crise actuelle" au motif que s’ils avaient "manifesté la même fermeté lorsque le Liban a été occupé par la Syrie ou concernant la solution du problème palestinien, un certain nombre de choses ne se seraient pas produites". Pour sa part, Michel Vauzelle, président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, il affirme sur RMC que Mitterrand "veillait à ne pas fermer la porte à la diplomatie" et qu’il "y a toujours des possibilités de conversations (avec l’Irak) par l’intermédiaire de pays du Tiers-Monde, de l’URSS et de certains pays arabes". Sur France-Inter, Alain Juppé, secrétaire général du RPR, approuve la ligne de conduite du chef de l’Etat avant de déclarer : "Il faut aller au bout de l’embargo".

En bref :
   

George Bush signe l'ordre rappelant 40.000 réservistes pour renforcer les troupes américaines déjà présentes dans le Golfe.

La Bourse de Paris clôt en hausse de 2,57% après une chute de plus de 10% en 3 séances consécutives. Francfort a terminé en hausse de 1,62%. Londres a terminé avec une toute petite hausse. Wall Street a ouvert en très légère hausse mais 2h plus tard l’indice Dow Jones perdait 0,38%.

Radio-France Internationale (RFI) met en place aujourd’hui un service de messages à l’intention des familles des Français retenus en Irak et au Koweït. Accessible par "numéro vert" (gratuit), ce service sera ouvert "aussi longtemps que les événements l’exigeront", précise la radio.

Pour enrayer l'exode massif de milliers de Koweïtiens et d'Irakiens, la Jordanie décide de fermer ses frontières avec l'Irak.

La compagnie aérienne britannique British Airways annonce une hausse de 6% de ses tarifs à partir du 15 septembre, anticipant sur l’éventuelle décision de l’IATA (Association Internationale duTransport Aérien) d’une possible augmentation concertée des tarifs des compagnies du fait de la crise dans le Golfe. Certaines compagnies américaines ont déjà annoncé la même mesure.

Un porte parole militaire irakien affirme que 2 avions venant d'Arabie Saoudite ont violé l'espace aérien irakien.

Ils ont dit :
   

François Heisbourg, directeur de l’Institut d’études stratégiques de Londres : "S’il devait y avoir des opérations occidentales, les pertes en vies humaines seraient probablement assez importantes bien que l’issue ne ferait pas de doute" (Télévision française Antenne 2).
Pape Jean-Paul II : "C’est le danger d’une guerre qui menace le désir de paix dans le monde qui nous réunit aujourd’hui en prière. Que le Seigneur (...) exauce nos voeux de paix".
Roi Hussein de Jordanie : "Nous en sommes pratiquement arrivés au type de crise d'un monde devenu fou".
Mgr Jacques Gaillot, évèque d'Evreux : "Quand Israël a envahi le Liban, la Syrie ou la Palestine, les résolutions de l’ONU n’ont pas été appliquées parce qu’il n’y avait pas d’intérêts économiques en jeu pour les pays occidentaux, ce qui est actuellement le cas".

 


Chronologie des événements - août 1990

L'Irak menace l'Arabie Saoudite. La communauté internationale réagit : l'ONU condamne l'invasion et les Américains déclenchent l'opération Bouclier du désert. L'Irak répond en prenant plusieurs milliers d'Occidentaux en otages.

L'ONU décrète un embargo contre l'Irak alors que la coalition anti-irakienne se construit. Alors que les USA renforcent leurs troupes dans le Golfe, la Ligue Arabe s'oppose à l'Irak.

En Irak et au Koweït occupé, les otages deviennent boucliers humains, provoquant l'inquiétude du monde entier. De son côté, l'armée irakienne assiège les ambassades occidentales au Koweït. L'ONU renforce donc l'embargo et autorise le recours à la force pour le faire respecter.

Le Koweït devient une province de l'Irak. Des personnalités occidentales se rendent à Bagdad. L'ONU et l'URSS tentent des médiations. En signe de bienveillance, l'Irak libère quelques otages.

 

septembre 1990

Gallerie de photos
  • image 1
  • image 2
  • image 3
  • image 4
  • image 5
  • image 6
  • image 7
  • image 8
En vidéo


Arrivée du Clemenceau dans le Golfe (25 minutes)
FR3 - Journal de 19h30 - 22 août 1990


Interview de François Hollande (2 minutes)
FR3 - Journal de 12h45 (extrait) - 22 août 1990


La crise du Golfe (14 minutes)
ARD - Télévision allemande (extrait en allemand) - 22 août 1990