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Témoignage
diffusé dans l'émission "Pièces à convictions" le 1er
février sur France 3,
Le lendemain, il en a remercié son père d'un dernier sourire esquissé. Puis il n'a plus bougé. Pas le moindre cillement. Tout doucement, il s'est laissé glisser. Sa dernière volonté : la vérité à titre posthume. Les lèvres muettes de Sébastien articulent à
l'excès, en quête de dialogue. En vain. D'ordinaire, il s'inquiète des
enfants, dont les quatre dessins sont épinglés au mur, face au lit : "- Les bombes à l'uranium appauvri,
vous en aviez entendu parler à l'époque? Sébastien demande à nouveau l'ardoise blanche aux lettres bleu outremer. Le doigt traînant sur chaque lettre, jusqu'à la bonne, il écrit méthodiquement, sans aucune faute "p-y-r-i... dostigmine". Oui, il a bien pris, sur ordre de ses supérieurs, les cachets, antidote à l'arme chimique. Un médicament alors non autorisé est donné à 9 000 soldats français, selon les aveux tardifs du général Roquejoffre à l'Assemblée Nationale, devant la mission d'information parlementaire sur le syndrome du Golfe (désormais élargi aux Balkans). "- Le Virgyl, la pilule contre le
sommeil? Sébastien montre péniblement les deux épaules où il a été vacciné, au pistolet, en file indienne avec tous ses camarades d'unité. Contre quoi? Il n'a jamais vraiment su. "Dans le Golfe, on lui a dit que c'était contre la grippe, précise Rose-Marie. En Yougoslavie, pour les moustiques..." "M-i-n...", des mines ont été récupérées en Irak. La caisse est tombée un jour et s'est entrouverte. Toute la zone a été aussitôt interdite. Les photos aussi, comme celles de ces explosions laissant apparaître un drôle de nuage. Seuls les clichés autorisés en parlent un peu aujourd'hui. Tout petit, Sébastien rêvait déjà de porter l'uniforme. Au pays des corons, où son oncle a été enseveli d'un coup de grisou dans la mine de Liévin, il voulait "faire aviateur". A la sortie de l'école, il se retrouve pompier, pendant quatre mois. (...) Il s'engage dès sa majorité au 526ème RI de Saint-Germain-en-Laye. Incorporé à la FAR, Force d'Action Rapide de l'armée française, en 1989, c'est la logistique qu'il assure avec le 17ème RCS, le régiment de commandement et de soutien. Sébastien a 21 ans et une femme sur le point
d'accoucher quand éclate la guerre du Golfe. (...) Basé au port de Yambu, le
brigadier Jolie - qui finira caporal-chef après deux guerres et de nombreuses
décorations - fait la navette avec la ligne de front : en Arabie Saoudite, puis
en Irak, au moment de l'offensive terrestre. Dès son retour du Golfe, Sébastien souffre de violents maux de tête et de vertiges, qu'il avoue à ses parents, mais pas à sa femme, pour ne pas l'affoler. et surtout, il prend du poids sans raison apparente. En moins de 2 ans, entre le Golfe et la Bosnie, il prend 36 kilos ! (...) Sous le casque bleu de la Forpronu, Sébastien est soldat de la paix, basé à Glina, effectuant des navettes incessantes avec Sarajevo. De ses deux guerres, il rapporte tant de médailles et d'honneurs qu'il n 'y a plus une place libre sur les murs du salon saumon de son pavillon de brique. Médaille d'outre-mer, avec agrafe en vermeil, médaille d'argent de la Défense Nationale, vitrine remplie de décorations, d'écussons et d'emblèmes dont ceux de la FAR ou le daguet ( la gazelle du désert qui a donné son nom à la division française de la guerre du Golfe). Il y a aussi ce "Témoignage de satisfaction" signé le 22 avril 1991 par le général Schmitt, chef d'état-major des armées, seul officier français a avoir avoué aujourd'hui devant les membres de la mission parlementaire qu'il était à l'époque au courant des bombardements à l'uranium appauvri des Américains. (...) Homme d'ordre et de hiérarchie de par son métier de motard de police, Daniel, le père de Sébastien, est amer : "A quoi ça sert les décorations? Aller se battre pour son pays et récolter des maladies. J'aurais préféré qu'il tombe au champ d'honneur plutôt qu'à l'hôpital. C'était son choix de soldat, mais là, non..." (...) Sébastien n'a pas son contrat renouvelé en 1995, lorsqu'il veut rempiler. Chassé de l'armée, sans explication, après huit ans de bons et loyaux services. Pour son père, "on devait savoir qu'il était malade" quand on l'a envoyé grossir les rangs de l'ANPE ! C'est donc dans les hôpitaux civils que Sébastien va développer la maladie, alors que (...) son assurance vie de l'Association générale de prévoyance militaire est résiliée en 1999 pour d'obscures raisons. Cinq mois plus tard, il fait une balade à moto avec sa femme, quand il perd l'équilibre : cancer du cervelet et complication pulmonaire le clouent définitivement au lit. (...) Daniel Jolie, lui, s'est déjà forgé une conviction. Un des praticiens qui a accompagné Sébastien en phase finale lui a donné son diagnostic "d'homme à homme", plutôt que médical. "Pour moi, la maladie de votre fils vient bien de là-bas. Je n'ai jamais vu dans mon service, ni ailleurs ce type de cancer." De ces lésions "douteuses", il a acquis une certitude. "C'est l'uranium appauvri, j'en suis sûr. Les médecins le disent, mais ils n'ont pas les moyens de le prouver scientifiquement ni donc de le guérir, puisqu'on leur cache l'origine de la toxicité." Le père a porté plainte contre X , pour empoisonnement de son fils, avec Avigolfe, l'association des victimes du Golfe. (...)
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