Le
peuple jordanien derrière Saddam :
un problème de taille pour le roi Hussein
A Amman, la foule nombreuse se réunit
près de la mosquée, à l'appel des Frères musulmans.
Ils viennent manifester après la prière contre
l'ingérence américaine dans les affaires arabes.
"Croyez-moi,
affirme Kamel, un jeune étudiant jordanien du Canada
nouvellement inscrit dans "l'armée populaire",
toute la population est
derrière Saddam Hussein. Nous voulons constituer une
seule nation, nous sommes tous, Jordaniens, Syriens ou
Irakiens, des Arabes avant tout. Nous voulons un seul
pays et un seul homme pour le diriger. Saddam Hussein est
cet homme parce qu'il incarne notre volonté d'union."
La manifestation s'intensifie. "Les
USA, accuse Fouad, un
médecin, ne sont pas venus
pour aider le roi Fahd ou bien pour assurer notre
sécurité. Ils ne sont là qu'à cause du pétrole. Mais
nous, les Arabes, que sommes-nous ? Des chiens ? Pourquoi
ne nous laisse-t-on pas régler nous-mêmes nos
problèmes ?" D'un
Jordanien à l'autre, on recueille les mêmes propos, et
toutes les conversations aboutissent à la question des
territoires occupés par Israël sur la rive est du
Jourdain.
Chez les étudiants plus libéraux de
l'Université jordanienne à Amman, les critiques sont
les mêmes. Saad explique : "Je
suis athée. Je ne trouve pas que Saddam Hussein soit un
leader idéal, mais je suis prêt à le suivre si les
Américains attaquent l'Irak, car je suis arabe avant
tout, et je veux que nous soyons enfin maîtres de
nous-mêmes, chez nous, en Arabie."Les Jordaniens sont
inquiets : leur pays est pris en "sandwich"
entre l'Irak et Israël. Le blocus a, dès le mois
d'août, de nombreuses conséquences sur la Jordanie.
Selon les responsables du Comité de
soutien à l'Irak d'Amman, plus de 10 000 hommes de la
capitale jordanienne se sont inscrits dans "l'armée
populaire", et les effectifs de ces troupes
s'élèvent à plus de 40 000 personnes dans tout le
royaume.
Les Jordaniens se reconnaissent dans les
diatribes de Saddam Hussein contre l'Occident. La marge
de manuvre du roi hachémite, dépendant de
l'Occident, fut souvent étroite. Désormais, elle semble
se transformer en peau de chagrin.
Terriblement
endettée, la Jordanie est trop dépendante des
banques internationales pour soutenir
officiellement Bagdad
A en croire des sources diplomatiques
européennes, si le roi Hussein a décidé d'appliquer
les sanctions contre Bagdad votées par les Nations
Unies, ce n'est pas un hasard. Même s'il a été,
jusqu'à présent, un allié de l'Irak, le souverain
jordanien ne peut pas - pour des raisons économiques -
se payer le luxe de tourner le dos aux Occidentaux.
Ce petit pays ( 3
millions d'habitants en 1990, sur un territoire grand
comme l'Autriche) dépourvu de ressources pétrolières,
est dans une situation financière difficile et ne survit
que grâce à la perfusion des organismes bancaires
internationaux.
La Jordanie, dont le P.N.B. par tête ( 1
000 $ ) est l'un des plus faibles du Moyen-Orient, accuse
un déficit commercial important : les exportations ( 1
milliard de dollars en 1989, dont un bon quart en
direction de l'Irak) couvrent moins de 40% des
importations (2,4 milliards). Et les autres recettes
(devises ramenées par les travailleurs expatriés,
tourisme, dons des pays "frères" du Golfe,
parmi lesquels le Koweït et l'Arabie Saoudite) ne
suffisent pas pour équilibrer la balance des paiements.
D'où une dette colossale ( 7,4 milliards
de dollars) vis-à-vis, notamment, des banques
américaines, britanniques, françaises et japonaises,
dont le remboursement a pu être rééchelonné en 1989,
à la suite d'accords avec les clubs de Paris et de
Londres. Un allègement du service de la dette a aussi
été accordé, mais la facture pour cette année 1990
frise quand même les 700 millions de dollars.
Pour redresser la barre, Amman entreprend
depuis peu une cure d'austérité drastique. Et, en cette
période de crise internationale, ce n'est pas le moment
de la compromettre...
L'état déplorable
de l'armée jordanienne
Les Jordaniens condamnent le
néocolonialisme occidental et soutiennent Saddam
Hussein. Et les officiers se feraient une joie d'aller
défendre l'Irak. Mais leur "Abou Abdallah" a
condamné cette invasion. Le roi, chérif parmi les
Bédouins qui composent la presque totalité des cadres
de l'armée, est intouchable. Une loyauté viscérale lie
les officiers à leur souverain, qui est aussi le
commandant en chef de toutes les forces jordaniennes.
L'armée du royaume hachémite se compose d'environ 120
000 hommes, réservistes compris. Elle bénéficie d'une
aide américaine vitale. Jusqu'à ce que la crise
économique touche sévèrement la Jordanie, cette armée
soutenait la réputation de ses ancêtres de la Légion
arabe. Mais, selon des experts occidentaux, depuis les
années 80, elle a pris un retard difficile à rattraper.
Non seulement une partie de l'équipement a vieilli, mais
on a également rogné sur la formation des hommes,
notamment des pilotes de chasse. Les stages des officiers
à l'étranger ont aussi été réduits, voire
supprimés. Presque totalement déployée sur le quart
nord-ouest du pays, l'armée a, depuis 1967, le regard
tourné vers Israël
Depuis le 2 août, l'armée jordanienne
est en état d'alerte partielle. Tous les congés des
officiers ont été annulés et, un peu à la hâte, les
pilotes de guerre ont repris un entraînement intensif et
"l'armée du peuple" créée en 1980, qui doit
intervenir en cas d'invasion, a été réactivée.
Le roi impose la
neutralité aux Jordaniens
Le nationalisme est largement répandu
dans l'armée jordanienne. Le cur des officiers et
de la population bat à l'idée d'une renaissance arabe.
Ils regardent Bagdad avec admiration ou espoir. Mais dans
une interview accordée aux médias occidentaux, le
prince héritier Hassan, frère du roi Hussein, confiait,
à propos du rôle de l'armée jordanienne si la guerre
Etats-Unis / Irak éclatait, "L'armée
jordanienne fait face à beaucoup de défis. Nous n'avons
pas choisi nos voisins. D'un côté, il y a Israël et ce
qu'on appelle la "ligne rouge" du Jourdain ; de
l'autre, l'Arabie Saoudite avec les troupes américaines.
Il y a aussi la Syrie et la mobilisation en Irak. Pour
nous, l'essentiel reste la souveraineté de notre pays."
Par conséquent,
avec le soulagement de Washington et Tel-Aviv, Amman ne
peut intervenir aux côtés de Bagdad.

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