Palais
de l'Elysée, le 9 janvier 1991 à 18h15
En
direct sur la plupart des télévisions de la planète,
François Mitterrand répond aux questions de la presse
internationale. Pendant ce temps, la conférence de Genève
entre l'Américain James Baker et l'Irakien Tarek Aziz se
poursuit. La longueur inattendue des discussions laisse espérer
la paix...
Mesdames et Messieurs,
Je vous ai demandé de venir ici une nouvelle fois, mais il
faut bien que vous pensiez que, au besoin je le ferais de nouveau
s’il le fallait, car dans les jours qui viennent quelques
événements d’importance peuvent se passer, et
mon premier devoir est d’informer l’opinion. Je souhaite
passer par vous pour que cela soit fait et vous-mêmes, je
le suppose, êtes désireux de rechercher l’information
là où vous pouvez la trouver. Je veux donc préciser
devant vous et grâce à vous, puisque vous me poserez
des questions, la position de la France, non seulement sur le fond
- on la connaît, mais il n’est pas mauvais de la répéter-
et aussi sur la manière dont nous envisageons les jours qui
précèdent le 15 janvier : comptons sur nos doigts,
jeudi, vendredi, samedi, dimanche, lundi, on peut dire mardi. C’est
le 15 janvier, minuit heure Washington, donc le 16 janvier, 6 heures
du matin Paris.
D’ici là,
il peut y avoir des évolutions. En tout cas nous les recherchons.
Je resterai toujours à votre disposition et le cas échéant
je susciterai ce type de rencontre. Et après ce moment fatidique,
que se passera-t-il ? Là nous serons dans une nouvelle phase
où le conflit armé devient quasiment certain. Que
fera la France? Que fera le gouvernement et que ferai-je moi-même
par rapport au Parlement ? Que feront nos armées ? Voilà
un certain nombre de questions qui dans tous les cas se posent.
Ne croyez pas que la conversation engagée à Genève,
et qui se déroule encore à l’heure actuelle,
puisse en quoi que ce soit déranger les schémas que
je vais développer devant vous.
Je
suis informé de ce qui s’y passe. Je ne suis pas autorisé
à vous le communiquer. Il appartiendra à M. Baker
de dire lui-même ce qu’il en pense, lorsqu’il
parviendra au terme de cette conversation marathon. Mais j’ai
eu le Président Bush il y a quelques minutes, cette conversation
a été interrompue, disons, s’est arrêtée
un peu plus tôt que prévu parce que je désirais
vous voir à l’heure ; mais le Président Bush
m’appellera de nouveau dans la soirée.
Nous pouvons donc
parler en termes clairs et suffisamment précis, sachant à
peu près naturellement tous, dans ce domaine des débats
politiques et diplomatiques, qu’il faut toujours s’attendre
à tout. Enfin, nous pouvons débattre ce soir de façon
sérieuse d’hypothèses dont la vraisemblance
n’est en rien diminuée par ce qu’on pourrait
appeler l’incertitude de cette conversation qui reste encore
secrète, et qui se prolonge au-delà de ce qui était
prévu par M. Baker lui-même. Je lui avais parlé
hier du point de presse de ce soir et il m’avait dit bien
entendu qu’il considérait que la conversation serait
close. Tel n’est pas le cas, et après tout je m’en
réjouis, car tout ce qui permet d’approfondir les conversations,
-je ne dis pas négociation, mais conversation, échange
de vues, affirmation des positions mutuelles- tout cela sera bon
pour tout le monde. Au moins ça aura le mérite d’être
clair. Alors, je tiens avant toute autre question de votre part
à préciser une chose, parce que je lis la presse française
et étrangère. On aperçoit ici et là
des interprétations audacieuses, pour ne pas dire erronées.
J’ai eu souvent l’occasion de m’adresser à
vous encore très récemment, c’était le
4 janvier, à l’occasion des v?ux de nouvel an et nous
avons parlé de ces sujets. La France considère comme
un principe irréductible le fait que le Koweït doit
être évacué. Et d’autre part, elle considère
que le délai de l’ultimatum fixé au 15 janvier
ne peut pas être repoussé, retardé, sous quelque
prétexte que ce soit. Notre position n’a donc pas bougé
depuis l’adoption de la résolution 678. La France l’a
votée et n’a jamais varié sur ce point. Il faut
que ce soit bien clair. Où se trouvent les éléments
variables puisque je viens de vous donner l’élément
fixe autour duquel tout le reste tourne ? Pendant un certain temps
je vous ai dit -nous n’étions pas nombreux à
le dire- qu’il convenait de préciser qu’au cas
où le Koweït serait évacué il n’y
aurait pas de guerre et cela a été heureusement dit
par le Président Bush. Depuis lors, considérons donc
cela comme acquis. Vous savez que le Président Bush s’est
également exprimé hier, pour dire à peu près
ceci : "que M. Saddam Hussein se prononce, qu’il se prononce,
avant le 15 janvier, sur son choix d’évacuer le Koweït".
Cela se confond avec la position que j’avais développée
devant les Nations Unies au mois de septembre. C’est vous
dire que sur tous ces plans il y a véritablement harmonie
dans les prises de position de nos pays, les Etats-Unis d’Amérique
et la France, sur des points qui, pendant un temps, ont pu sembler
litigieux aux observateurs attentifs. Ils ne le sont pas.
De quoi pourrait-ton
également parler dans les jours qui viennent pour faciliter
la démarche pacifique, compte tenu de ce qui reste irréductible
et que je n’ai plus, j’espère à rappeler
? Comment se réaliserait la dévolution du Koweït,
du moins dans les premiers moments d’une évacuation.
Vous savez que j’ai toujours exprimé ma préférence
et je la maintiens pour que ce soit des Nations Unies, principalement
le Secrétaire général des Nations Unies, qui
organise cette période qui devrait être brève.
J’ai exprimé le souhait, au surplus, que M. Perez de
Cuellar pu organiser cette dévolution, en s’appuyant
sur des pays arabes, reprenant ainsi la proposition initiale faite
peu après le 2 août de l’an dernier. Un débat
s’est organisé : est-ce que tout cela est vrai dans
le cas où le Koweït ne serait évacué que
pour partie ? L’objectif, c’est l’évacuation
totale. Jugera-t-on suffisant pour ne pas déclencher un conflit
armé, aussitôt après la nuit du 15 au 16 janvier,
qu’un début d’évacuation soit annoncé,
exécuté, programmé, contrôlé ?
Là-dessus, le Président Bush lui aussi s’est
exprimé hier d’une façon que je viens de rappeler.
Mais l’ultimatum reste fixé à la date établie.
Donc, rien dans ce cas-là ne changerait ; rien en vérité.
De même dans
les relations des douze Européens, vous avez vu de quelle
manière a été refusée la rencontre entre
M. Tarek Aziz et les représentants ou le représentant
des Douze, notamment M. Poos, le ministre des Affaires étrangères
de Luxembourg, qui préside la Communauté des Douze
du 1er janvier de cette année au 1er juillet prochain, succédant
selon le calendrier établi à la présidence
italienne. Les Douze viennent de relancer une initiative semble-t-il
-je dis semble-t-il par précaution, mais je pourrais le dire
avec assurance- avec l’accord de M. Tarek Aziz pour qu’une
rencontre ait lieu. Elle aurait lieu, je crois, à Alger.
Ce qui veut dire
qu’en fait de toutes parts on admet de plus en plus la thèse
française : les quelques jours qui séparent la conversation
d’aujourd’hui entre le secrétaire d’Etat
américain et le ministre des Affaires étrangères
irakien et la date terminale de l’ultimatum des Nations Unies
doivent être occupés au service de la paix, dans le
maintien rigoureux des conditions de base fixées par le Conseil
de sécurité mais en étudiant tous les aspects
annexes qui pourraient permettre une détente. Voilà
un certain nombre de données que je voulais vous exposer
avant que vous ne posiez les questions de votre choix. La France
a tissé des fils multiples. C’est ainsi qu’elle
a pris contact avec l’Algérie. Hier le secrétaire
général de la présidence de la République
se trouvait à Alger. Il y a aussi la relation avec le Maroc,
le ministre des Affaires étrangères marocain doit
se trouver à Paris incessamment, des conversations avec l’Union
Soviétique, l’Allemagne, l’Espagne, la Yougoslavie
et je le répète les pays du Maghreb, ainsi que le
secrétaire général des Nations Unies. Tout
cela est en train et nous continuerons d’agir de la sorte
jusqu’à mardi prochain dans la nuit. Vous pourrez me
poser, bien entendu, les questions qui vous paraîtront utiles
sur ce qui se passerait après, pour le cas où finalement
les chances de la paix, si fragiles, auraient été
dissipées par l’entêtement, le refus, de l’Irak.
Nous nous livrons
à un travail préparatoire. J’ai entendu dire
que l’on se posait la question, parmi vous Mesdames et Messieurs,
d’une relation directe avec Bagdad et même d’un
voyage du ministre des Affaires étrangères ou de toute
autre personnalité désignée à cet effet,
à Bagdad. Cette hypothèse a été évoquée
sous une forme négative. J’ai toujours dit "je
n’exclus pas, je ne me l’interdis pas". La France
en a bien le droit dès lors qu’elle affirme hautement
sa solidarité avec ceux qui tirent les conséquences
actives de la résolution des Nations Unies autorisant l’emploi
de tous moyens pour mettre en ?uvre les résolutions antérieures
-libération du Koweït en particulier-. Nous ne nous
l’interdisons pas. Au nom de quoi le ferions-nous ? Mais,
j’estime que les conditions n’en sont pas réunies
parce qu’après tout lorsqu’on entreprend des
conversations de ce type, il faut au moins que cela serve à
quelque chose et telle n’est pas présentement mon sentiment.
Voilà, j’ai peut-être précédé
un certain nombre de vos questions, mais nous n’avons pas
épuisé le sujet.
QUESTION
: M. le Président, est-ce que l’on peut vous
demander quelle démarche, quelle initiative française
vous envisagez dans les jours à venir, soit pour prolonger
les conversations de Genève si elles évoluaient dans
un sens favorable, soit pour prendre le relais si elles venaient
à échouer ?
LE
PRESIDENT.- Si elles réussissaient, je ne vois pas
pourquoi nous ajouterions quoi que ce soit. Nous dirions peut-être
notre façon de voir, on a l’habitude de le faire, tout
le monde s’y attend. Nous voulons la paix, mais nous voulons
la paix dans le droit. Je veux dire que notre choix c’est
celui du droit, du droit international, du nouveau droit international
qui doit désormais succéder à la période
pendant laquelle les blocs militaires et les alliances s’annulaient
et interdisaient aux Nations Unies de traduire en fait leurs décisions
de principe, leurs décisions juridiques. Donc, cette nouvelle
période doit entrer dans les faits. C’est notre thèse,
nous estimons que c’est une grande entreprise et nous voulons
le droit et le respect du droit. Bien entendu, nous préférerions,
et nous y travaillons, le respect du droit dans la paix, mais nous
acceptons, je le dis gravement, l’hypothèse aussi d’un
droit qui ne pourrait être respecté que par le combat,
le conflit. Enfin, l’hypothèse retenue, l’hypothèse
préférée, choisie, c’est de continuer
à lutter pour la paix jusqu’à la date ultime.
Si Genève réussit dans le sens que je viens d’exprimer
: alors continuons et bravo à James Baker ! Si cela échoue,
pour des raisons qui n’incomberaient pas à James Baker,
cela voudrait dire que le partenaire irakien ne serait guère
prêt à faire davantage, encore faut-il explorer, savoir,
avoir des réponses claires, et nous essayerions d’avoir
ces réponses. La France l’essaierait en compagnie de
ceux dont j’ai parlé et qui, pour l’essentiel,
m’y paraissent prêts, c’est-à-dire un certain
nombre de pays. Pour ce qui concerne la France nous ne pouvons être
d’accord qu’avec des pays qui acceptent le délai
fixé par les Nations Unies, qui pour nous, je le répète,
est la loi. La France ne revient en arrière sur aucun des
points qu’elle a acceptés au cours de ces 5 mois. Bon
alors je vous ai dit les fils conducteurs, je vous en ai donné
certains, il y en a d’autres qui peuvent être tressés
d’ici là, chaque jour, mais les jours sont peu nombreux.
L’imagination n’est pas inépuisable. Les situations
qui peuvent faire passer du conflit à la paix d’ici
le 15 janvier ne sont pas innombrables. Mais nous continuerons,
nous souhaitons sauver la paix dans le monde, le droit des peuples,
le droit des gens. C’est un choix difficile, je l’admets,
mais nous l’avons fait.
QUESTION
: M. le Président, êtes-vous surpris, quand
même, du fait que le dialogue se prolonge à Genève
? M. Baker, que vous avez rencontré hier, vous avait-il laissé
entendre qu’il irait au-delà du simple rappel de la
position américaine pour arriver à un véritable
dialogue sur le dossier du Proche-Orient ?
LE
PRESIDENT.- Je suppose que la patience de M. Baker qui
ne me semble pas être le point dominant de ce qui devrait
être la conversation de cette journée, doit s’expliquer
par le fait que son partenaire a amené quelques idées
nouvelles, comme on dit "sur la table", -on dit cela entre
diplomates-... Je vous ai conviés à venir à
18 heures, les chaînes de télévision m’ont
dit : si vous pouvez attendre 18h15 au cas où il se passerait
quelque chose de nouveau à Genève ; j’ai dit
: bon, eh bien on attendra 18h15. Mais c’est bien parce que
je pensais que la conversation serait terminée à 18
heures : tel n’est pas le cas. Je considère cela comme
plutôt positif, dans le sens de mes propres souhaits pour
la France et pour la paix, mais pas assez pour m’empêcher
ou me gêner en quoi que ce soit de répondre à
vos questions comme j’avais l’intention de le faire
en tout état de cause.
QUESTION
: M. le Président, vous avez toujours dit jusqu’à
présent que vous ne voyez rien venir de positif du côté
de l’Irak, diriez-vous la même chose aujourd’hui,
et sinon, est-ce selon vous la fermeté qui commence à
payer ?
LE
PRESIDENT.- ...qui commence à payer ? J’aimerais
bien que vous expliquiez cette formule. Je considère qu’il
n’est pas venu de signes de l’Irak qui permettent de
transformer la situation au point de passer du cycle infernal dans
lequel l’invasion du Koweït l’a placé à
une phase d’espérance et de réconciliation.
Non le geste n’a pas été accompli.
QUESTION
: M. le Président, à propos des rapports
entre la France et les Etats-Unis depuis le début de cette
crise, on a eu le sentiment qu’il y avait tout de même
des petites divergences, et pourtant aujourd’hui le porte-parole
de la Maison Blanche s’est félicité de l’attitude
de la France. Alors, est-ce qu’on pourrait imaginer, mais
ce n’est bien sûr qu’une supposition, qu’il
y a eu dans cette affaire, ou qu’il y a en tout cas maintenant
une certaine répartition des rôles, les Etats-Unis
jouant la fermeté, et la France, grâce à sa
diplomatie propre, grâce à ses amitiés arabes
notamment, jouant une certaine ouverture ?
LE
PRESIDENT.- La France joue la fermeté et l’ouverture.
Elle joue la fermeté puisqu’elle vient de rappeler
l’irréductibilité du délai et l’obligation
faite à l’Irak de répondre à la question
sur le Koweït. Et tant que cette heure n’est pas arrivée,
elle joue l’ouverture, c’est-à-dire qu’elle
s’adresse à l’Irak où elle crée
les conditions pour que l’Irak puisse s’exprimer devant
tel ou tel autre pays, ou devant les Nations Unies, pour adopter
une position qui permette d’espérer échapper
au conflit. Donc il ne peut pas y avoir d’opposition entre
les Américains et nous sur ce point. Ce n’est pas le
problème de la fermeté sur le principe d’une
résolution que nous avons adoptée en commun qui pourrait
nous séparer, c’est sur un certain nombre d’aspects
qui ne sont pas secondaires mais particuliers, par exemple, vous
savez bien que les Etats-Unis et la France n’ont pas du tout
la même conception d’une éventuelle conférence
internationale pour le règlement du conflit israélo-arabe.
Je comprends aussi que les positions soient diverses aujourd’hui
parce que les Etats-Unis ont toujours été hostiles
à cette perspective et y consentir aujourd’hui pourrait
leur apparaître -je parle pour eux sans en avoir reçu
le mandat- comme une concession inacceptable à M. Saddam
Hussein. Ce qu’ont demandé les Arabes depuis si longtemps
serait consenti au chef de l’Etat qui vient d’en agresser
un autre. Je comprends très bien cette position, mais elle
ne doit pas entraîner une atténuation de la position
de la France sur le même point. Alors que je réclame
cette conférence internationale depuis six à sept
ans, vais-je y renoncer au moment où elle serait utile, le
plus utile ? Voilà ce qui explique une divergence de position
qui n’est pas dissimulée, que j’ai rappelée
hier encore à M. James Baker. Parmi les éléments
qui doivent intervenir, notamment dans les positions des Douze,
il y a le fait que cela a été dit récemment
à Luxembourg, et cela sera redit, les Douze entendent intervenir,
peser de leur poids, prendre l’initiative pour qu’une
conférence internationale sur le conflit israélo-arabe
puisse se tenir en 1991. Cela ne veut pas dire qu’elle aura
lieu, puisqu’elle suppose l’accord aussi de ceux qui
jusqu’ici s’y refusent, Israël, Etats-Unis d’Amérique,
peut-être quelques autres, mais cela veut dire, en tout cas,
que les pays européens s’engagent dans cette voie,
ce qui ne peut que convenir à la France qui l’a demandée
la première.
QUESTION
: Vous avez dit dans votre préambule que vous êtes
prêts à nous éclairer sur ce que vous ferez
et sur ce que fera le gouvernement si la diplomatie devait échouer.
LE
PRESIDENT.- Oui, nous allons venir naturellement à
cette étape, il me semble que vos confrères et cons?urs
qui sont intervenus jusqu’ici se sont attachés à
savoir ce qui se passerait d’ici le 15 janvier. Si on a épuisé
ce sujet, si on veut mettre un peu d’ordre dans notre conversation,
on pourrait ensuite aborder le problème de ce qui se passerait
en cas d’échec total de toute idée de négociation
ou de conversation après le 15 janvier, quand même,
parce qu’après tout vous en avez envie. A partir du
15 janvier, à minuit heure américaine, nous passerons
dans une nouvelle époque de ce drame. Désormais, le
conflit armé sera légitime, puisqu’il sera conforme
aux décisions des Nations Unies qui seules ont autorité
pour en décider. Dès lors, il convient que les pays
qui sont déterminés à mettre en application
cette résolution et à employer tous les moyens nécessaires
pour qu’elle entre en ?uvre, prennent les dispositions militaires
correspondantes. Dans une démocratie comme la France, il
faudra prendre des dispositions parlementaires. Ces dispositions
parlementaires devront autant que possible précéder
non pas la mise en place d’un dispositif mais sa mise en action.
Dans ce cas-là, je pense que le gouvernement devra se déclarer
prêt à répondre à toute invitation des
commissions des deux assemblées. Elles sont trois ces commissions,
puisqu’il y en a deux d’une part -deux à l’Assemblée
nationale : Affaires étrangères et Défense-
et une au Sénat où ces deux activités sont
confondues. Les ministres des Affaires étrangères
et de la Défense, le Premier ministre, le cas échéant,
seront prêts à répondre à l’invitation
qui leur serait faite de se rendre devant les commissions en question
pour dérouler le processus militaire qui suivrait. Je suis
prêt à prendre, dès le 16 janvier, le décret
convoquant le Parlement en session extraordinaire. Laquelle session
devrait avoir lieu le lendemain. Avec, pour ordre du jour, une déclaration
du gouvernement, sans doute, une déclaration du Président
de la République, et d’autre part un vote sur un texte.
Le détail des procédures sera examiné par le
gouvernement avec les Présidents des Assemblées que
j’espère d’ailleurs recevoir moi-même,
dès le 16 au matin. Ainsi le Parlement aura été
saisi d’un problème qui touche la Nation tout entière
et donc qui le concerne en premier chef. Vous ne m’avez pas
posé de questions sur les opérations militaires proprement
dites, je m’arrête donc là. Maintenant, je ne
vous aurais peut-être pas répondu.
QUESTION
: Justement sur les opérations militaires, M. le
Président, depuis peu de temps la division Daguet est à
son complet, il y a 11.000 soldats français là-bas
en Arabie Saoudite, jusqu’où...
LE
PRESIDENT.- 10.000 environ...
QUESTION
: A quelques centaines près...
LE
PRESIDENT.- Mieux vaut être précis pour cela.
QUESTION
: Absolument. Jusqu’où, si les opérations
devaient devenir importantes, graves et longues, si les combats
devaient se prolonger, jusqu’où vous engageriez militairement
la France d’une part et d’autre part, question subsidiaire,
comment peut-on interpréter la présence de M. Pisani
à Genève aujourd’hui ?
LE
PRESIDENT.- Pour l’instant, il est dans son bureau
de l’Elysée je vous signale. Il est peut-être
parti depuis le début de notre conférence mais ce
n’était pas prévu, donc peut-être avez-vous
des informations que j’ignore, voulez-vous m’en donner
la source... ou bien alors est-ce que j’ai une double vue
? J’ai déjà dit aux Français, et pas
une fois, plusieurs fois, notamment lors de l’expression des
v?ux dans la nuit du 31 décembre, que la France ferait tout
ce qu’elle peut pour la paix, c’est son choix, mais
dans le respect des décisions prises par les Nations Unies.
Pardonnez-moi de le répéter une fois de plus, c’est
essentiel. Si les conditions posées n’étaient
pas réunies, c’est-à-dire l’évacuation
du Koweït dans le délai voulu, alors la France remplirait
son devoir, elle est membre permanent du Conseil de sécurité,
elle a voté ses résolutions, il ne serait pas normal
qu’elle se désengageât du texte qu’elle
a adopté ou fait adopter. La France prendra donc part, avec
le corps expéditionnaire, qui déjà se trouve
en Arabie Saoudite. Vous dites : "jusqu’où ?"
Et bien jusqu’au terme de sa mission et sa mission est celle
de tous les pays qui s’engageront dans cette action : remplir
le mandat des Nations Unies. Il ne s’agit pas d’organiser
je ne sais quelle guerre de destruction contre l’Irak, il
s’agit de libérer le Koweït. Bien entendu, la
libération du Koweït, en raison des fortes défenses
que cela représente du côté irakien, signifie
que tout ce qui se trouve alentour, y compris en Irak, court le
risque d’être atteint. Mais ceci est considéré
comme des opérations de libération du Koweït.
Telle est la mission à laquelle la France participera. Je
sais la gravité de ce que je dis là et je n’en
prends pas la responsabilité sans mûre réflexion
et je ne le fais pas non plus par impulsion. C’est parce que
je pense que c’est l’intérêt supérieur
de la France et de la paix qui est en jeu. D’autres ont dit,
en d’autres circonstances, que : "se réfugier
quelquefois dans le déshonneur pour avoir la paix apportait
finalement le déshonneur et la guerre". Je pense que
la guerre éclaterait de toute façon même en
cas d’absence des nations qui ont reçu mandat des Nations
Unies pour traduire en actes ce qui a été décidé
en droit. Je le sais, c’est une décision grave qui
vaut déjà des inquiétudes, des interrogations,
des protestations. Mais je prends cette responsabilité devant
le pays parce que je pense que c’est l’intérêt
de la France. C’est l’intérêt de la France
que d’être partie prenante au règlement qui de
toute manière suivra celui des affaires du Proche et du Moyen-Orient.
La France ne peut pas être absente de cette partie du monde.
Elle ne pourrait pas non plus justifier sa présence permanente
au Conseil de sécurité. Elle est l’une des grandes
puissances du monde et doit être digne de ses charges et notre
peuple le comprendra mais, bien entendu, revenons à notre
point de départ, notre choix tant qu’il existe est
celui de la paix. Il sera joué jusqu’au 16 janvier
au matin et après nous serons toujours à l’écoute
afin de saisir toute occasion qui permettrait de mettre un terme
rapide au conflit que personne ne souhaite -en tout cas en France-
mais qui peut correspondre à un devoir national et international.
QUESTION
: M. le Président, vous vous êtes efforcé
de démontrer que le message des Occidentaux à Saddam
Hussein, s’il avait été brouillé ou s’il
était apparu flou ces derniers temps, n’était
pas de votre fait...
LE
PRESIDENT.- ...brouillé aux oreilles de qui ? Il
n’a jamais été brouillé ce message.
QUESTION
: Il apparaissait plus flou, moins déterminé
de la part des Européens, il y a quelques heures et quelques
jours, que ce n’était le cas cet été.
Mais ce n’était pas toute ma question, tous les signes
comptent. Parmi ces signes, vous en donnez certains mais il y en
a d’autres ce soir. Il y a un signe qui intéresse beaucoup
les gens, c’est celui de la cohésion gouvernementale.
Or, sont venus à ces dialogues que vous avez régulièrement
avec la presse, des ministres et vous nous avez dit par le passé
que venaient ceux qui le voulaient. Aujourd’hui, le Premier
ministre Michel Rocard est là, le ministre des Affaires étrangères,
M. Dumas, est là, le ministre de la Défense, M. Chevènement
, est là et M. Bianco, qui revient d’une mission à
Alger, est là aussi.
LE
PRESIDENT.- Mais alors qui est-ce qui n’est pas là
?
(rires
dans la salle)
QUESTION
: Est-ce qu’on peut vous demander ce que cela signifie
?
LE
PRESIDENT.- Mais il est vraisemblable que vous me poseriez
la même question s’ils n’étaient pas là.
Alors moi je n’en sors pas... Qu’est-ce que vous voulez
que je vous réponde ? Ils sont là, ils ne sont pas
là... Bon, ils sont là et je les en remercie. C’est
tout, la cohésion des forces engagées par le soutien
de la résolution des Nations Unies ne peut pas être
considérée comme "brouillée", selon
votre expression, ou "floue", dès lors qu’il
y a des interprétations différentes, non pas sur l’objectif
irréductible du 15 janvier et de la libération du
Koweït mais sur la manière d’aborder négociations
ou conversations. Il n’y a pas de raison de considérer
que les pays en question, notamment la France, ont aliéné
leur propre diplomatie, leur volonté nationale et leurs intérêts
au bénéfice d’un pays aussi ami qu’il
l’est de la France, je veux dire les Etats-Unis d’Amérique.
Nous avons notre démarche pour la paix, telle que nous la
concevons et nous ne concevons pas la même démarche
lorsqu’il s’agit des conférences internationales
dont je viens de parler ; par exemple et ce n’est qu’un
exemple : personne n’a jamais décidé qu’à
partir de maintenant un seul pays déciderait pour tous. Cependant,
nous sommes d’accord pour développer, à l’égard
de l’Irak, le même thème, la même obligation,
le même impératif ; c’est celui que je vous répète
depuis le début de cette soirée et depuis des mois
et des mois. Voilà, c’est tout, nous en avons débattu
avec M. Baker hier d’une façon très confiante,
très cordiale. J’ai précisé ce point
parmi quelques autres, de façon tout à fait carrée
et je ne m’en sentais aucunement gêné. M. Baker
l’a parfaitement compris. |