Conférence de presse internationale
de François Mitterrand,
président de la République

L'expiration de l'ultimatum de l'ONU

Palais de l'Elysée, le 9 janvier 1991 à 18h15

En direct sur la plupart des télévisions de la planète, François Mitterrand répond aux questions de la presse internationale. Pendant ce temps, la conférence de Genève entre l'Américain James Baker et l'Irakien Tarek Aziz se poursuit. La longueur inattendue des discussions laisse espérer la paix...

Mesdames et Messieurs,


Je vous ai demandé de venir ici une nouvelle fois, mais il faut bien que vous pensiez que, au besoin je le ferais de nouveau s’il le fallait, car dans les jours qui viennent quelques événements d’importance peuvent se passer, et mon premier devoir est d’informer l’opinion. Je souhaite passer par vous pour que cela soit fait et vous-mêmes, je le suppose, êtes désireux de rechercher l’information là où vous pouvez la trouver. Je veux donc préciser devant vous et grâce à vous, puisque vous me poserez des questions, la position de la France, non seulement sur le fond - on la connaît, mais il n’est pas mauvais de la répéter- et aussi sur la manière dont nous envisageons les jours qui précèdent le 15 janvier : comptons sur nos doigts, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, lundi, on peut dire mardi. C’est le 15 janvier, minuit heure Washington, donc le 16 janvier, 6 heures du matin Paris.

D’ici là, il peut y avoir des évolutions. En tout cas nous les recherchons. Je resterai toujours à votre disposition et le cas échéant je susciterai ce type de rencontre. Et après ce moment fatidique, que se passera-t-il ? Là nous serons dans une nouvelle phase où le conflit armé devient quasiment certain. Que fera la France? Que fera le gouvernement et que ferai-je moi-même par rapport au Parlement ? Que feront nos armées ? Voilà un certain nombre de questions qui dans tous les cas se posent. Ne croyez pas que la conversation engagée à Genève, et qui se déroule encore à l’heure actuelle, puisse en quoi que ce soit déranger les schémas que je vais développer devant vous.

Je suis informé de ce qui s’y passe. Je ne suis pas autorisé à vous le communiquer. Il appartiendra à M. Baker de dire lui-même ce qu’il en pense, lorsqu’il parviendra au terme de cette conversation marathon. Mais j’ai eu le Président Bush il y a quelques minutes, cette conversation a été interrompue, disons, s’est arrêtée un peu plus tôt que prévu parce que je désirais vous voir à l’heure ; mais le Président Bush m’appellera de nouveau dans la soirée.

Nous pouvons donc parler en termes clairs et suffisamment précis, sachant à peu près naturellement tous, dans ce domaine des débats politiques et diplomatiques, qu’il faut toujours s’attendre à tout. Enfin, nous pouvons débattre ce soir de façon sérieuse d’hypothèses dont la vraisemblance n’est en rien diminuée par ce qu’on pourrait appeler l’incertitude de cette conversation qui reste encore secrète, et qui se prolonge au-delà de ce qui était prévu par M. Baker lui-même. Je lui avais parlé hier du point de presse de ce soir et il m’avait dit bien entendu qu’il considérait que la conversation serait close. Tel n’est pas le cas, et après tout je m’en réjouis, car tout ce qui permet d’approfondir les conversations, -je ne dis pas négociation, mais conversation, échange de vues, affirmation des positions mutuelles- tout cela sera bon pour tout le monde. Au moins ça aura le mérite d’être clair. Alors, je tiens avant toute autre question de votre part à préciser une chose, parce que je lis la presse française et étrangère. On aperçoit ici et là des interprétations audacieuses, pour ne pas dire erronées. J’ai eu souvent l’occasion de m’adresser à vous encore très récemment, c’était le 4 janvier, à l’occasion des v?ux de nouvel an et nous avons parlé de ces sujets. La France considère comme un principe irréductible le fait que le Koweït doit être évacué. Et d’autre part, elle considère que le délai de l’ultimatum fixé au 15 janvier ne peut pas être repoussé, retardé, sous quelque prétexte que ce soit. Notre position n’a donc pas bougé depuis l’adoption de la résolution 678. La France l’a votée et n’a jamais varié sur ce point. Il faut que ce soit bien clair. Où se trouvent les éléments variables puisque je viens de vous donner l’élément fixe autour duquel tout le reste tourne ? Pendant un certain temps je vous ai dit -nous n’étions pas nombreux à le dire- qu’il convenait de préciser qu’au cas où le Koweït serait évacué il n’y aurait pas de guerre et cela a été heureusement dit par le Président Bush. Depuis lors, considérons donc cela comme acquis. Vous savez que le Président Bush s’est également exprimé hier, pour dire à peu près ceci : "que M. Saddam Hussein se prononce, qu’il se prononce, avant le 15 janvier, sur son choix d’évacuer le Koweït". Cela se confond avec la position que j’avais développée devant les Nations Unies au mois de septembre. C’est vous dire que sur tous ces plans il y a véritablement harmonie dans les prises de position de nos pays, les Etats-Unis d’Amérique et la France, sur des points qui, pendant un temps, ont pu sembler litigieux aux observateurs attentifs. Ils ne le sont pas.

De quoi pourrait-ton également parler dans les jours qui viennent pour faciliter la démarche pacifique, compte tenu de ce qui reste irréductible et que je n’ai plus, j’espère à rappeler ? Comment se réaliserait la dévolution du Koweït, du moins dans les premiers moments d’une évacuation. Vous savez que j’ai toujours exprimé ma préférence et je la maintiens pour que ce soit des Nations Unies, principalement le Secrétaire général des Nations Unies, qui organise cette période qui devrait être brève. J’ai exprimé le souhait, au surplus, que M. Perez de Cuellar pu organiser cette dévolution, en s’appuyant sur des pays arabes, reprenant ainsi la proposition initiale faite peu après le 2 août de l’an dernier. Un débat s’est organisé : est-ce que tout cela est vrai dans le cas où le Koweït ne serait évacué que pour partie ? L’objectif, c’est l’évacuation totale. Jugera-t-on suffisant pour ne pas déclencher un conflit armé, aussitôt après la nuit du 15 au 16 janvier, qu’un début d’évacuation soit annoncé, exécuté, programmé, contrôlé ? Là-dessus, le Président Bush lui aussi s’est exprimé hier d’une façon que je viens de rappeler. Mais l’ultimatum reste fixé à la date établie. Donc, rien dans ce cas-là ne changerait ; rien en vérité.

De même dans les relations des douze Européens, vous avez vu de quelle manière a été refusée la rencontre entre M. Tarek Aziz et les représentants ou le représentant des Douze, notamment M. Poos, le ministre des Affaires étrangères de Luxembourg, qui préside la Communauté des Douze du 1er janvier de cette année au 1er juillet prochain, succédant selon le calendrier établi à la présidence italienne. Les Douze viennent de relancer une initiative semble-t-il -je dis semble-t-il par précaution, mais je pourrais le dire avec assurance- avec l’accord de M. Tarek Aziz pour qu’une rencontre ait lieu. Elle aurait lieu, je crois, à Alger.

Ce qui veut dire qu’en fait de toutes parts on admet de plus en plus la thèse française : les quelques jours qui séparent la conversation d’aujourd’hui entre le secrétaire d’Etat américain et le ministre des Affaires étrangères irakien et la date terminale de l’ultimatum des Nations Unies doivent être occupés au service de la paix, dans le maintien rigoureux des conditions de base fixées par le Conseil de sécurité mais en étudiant tous les aspects annexes qui pourraient permettre une détente. Voilà un certain nombre de données que je voulais vous exposer avant que vous ne posiez les questions de votre choix. La France a tissé des fils multiples. C’est ainsi qu’elle a pris contact avec l’Algérie. Hier le secrétaire général de la présidence de la République se trouvait à Alger. Il y a aussi la relation avec le Maroc, le ministre des Affaires étrangères marocain doit se trouver à Paris incessamment, des conversations avec l’Union Soviétique, l’Allemagne, l’Espagne, la Yougoslavie et je le répète les pays du Maghreb, ainsi que le secrétaire général des Nations Unies. Tout cela est en train et nous continuerons d’agir de la sorte jusqu’à mardi prochain dans la nuit. Vous pourrez me poser, bien entendu, les questions qui vous paraîtront utiles sur ce qui se passerait après, pour le cas où finalement les chances de la paix, si fragiles, auraient été dissipées par l’entêtement, le refus, de l’Irak.

Nous nous livrons à un travail préparatoire. J’ai entendu dire que l’on se posait la question, parmi vous Mesdames et Messieurs, d’une relation directe avec Bagdad et même d’un voyage du ministre des Affaires étrangères ou de toute autre personnalité désignée à cet effet, à Bagdad. Cette hypothèse a été évoquée sous une forme négative. J’ai toujours dit "je n’exclus pas, je ne me l’interdis pas". La France en a bien le droit dès lors qu’elle affirme hautement sa solidarité avec ceux qui tirent les conséquences actives de la résolution des Nations Unies autorisant l’emploi de tous moyens pour mettre en ?uvre les résolutions antérieures -libération du Koweït en particulier-. Nous ne nous l’interdisons pas. Au nom de quoi le ferions-nous ? Mais, j’estime que les conditions n’en sont pas réunies parce qu’après tout lorsqu’on entreprend des conversations de ce type, il faut au moins que cela serve à quelque chose et telle n’est pas présentement mon sentiment. Voilà, j’ai peut-être précédé un certain nombre de vos questions, mais nous n’avons pas épuisé le sujet.

QUESTION : M. le Président, est-ce que l’on peut vous demander quelle démarche, quelle initiative française vous envisagez dans les jours à venir, soit pour prolonger les conversations de Genève si elles évoluaient dans un sens favorable, soit pour prendre le relais si elles venaient à échouer ?

LE PRESIDENT.- Si elles réussissaient, je ne vois pas pourquoi nous ajouterions quoi que ce soit. Nous dirions peut-être notre façon de voir, on a l’habitude de le faire, tout le monde s’y attend. Nous voulons la paix, mais nous voulons la paix dans le droit. Je veux dire que notre choix c’est celui du droit, du droit international, du nouveau droit international qui doit désormais succéder à la période pendant laquelle les blocs militaires et les alliances s’annulaient et interdisaient aux Nations Unies de traduire en fait leurs décisions de principe, leurs décisions juridiques. Donc, cette nouvelle période doit entrer dans les faits. C’est notre thèse, nous estimons que c’est une grande entreprise et nous voulons le droit et le respect du droit. Bien entendu, nous préférerions, et nous y travaillons, le respect du droit dans la paix, mais nous acceptons, je le dis gravement, l’hypothèse aussi d’un droit qui ne pourrait être respecté que par le combat, le conflit. Enfin, l’hypothèse retenue, l’hypothèse préférée, choisie, c’est de continuer à lutter pour la paix jusqu’à la date ultime. Si Genève réussit dans le sens que je viens d’exprimer : alors continuons et bravo à James Baker ! Si cela échoue, pour des raisons qui n’incomberaient pas à James Baker, cela voudrait dire que le partenaire irakien ne serait guère prêt à faire davantage, encore faut-il explorer, savoir, avoir des réponses claires, et nous essayerions d’avoir ces réponses. La France l’essaierait en compagnie de ceux dont j’ai parlé et qui, pour l’essentiel, m’y paraissent prêts, c’est-à-dire un certain nombre de pays. Pour ce qui concerne la France nous ne pouvons être d’accord qu’avec des pays qui acceptent le délai fixé par les Nations Unies, qui pour nous, je le répète, est la loi. La France ne revient en arrière sur aucun des points qu’elle a acceptés au cours de ces 5 mois. Bon alors je vous ai dit les fils conducteurs, je vous en ai donné certains, il y en a d’autres qui peuvent être tressés d’ici là, chaque jour, mais les jours sont peu nombreux. L’imagination n’est pas inépuisable. Les situations qui peuvent faire passer du conflit à la paix d’ici le 15 janvier ne sont pas innombrables. Mais nous continuerons, nous souhaitons sauver la paix dans le monde, le droit des peuples, le droit des gens. C’est un choix difficile, je l’admets, mais nous l’avons fait.

QUESTION : M. le Président, êtes-vous surpris, quand même, du fait que le dialogue se prolonge à Genève ? M. Baker, que vous avez rencontré hier, vous avait-il laissé entendre qu’il irait au-delà du simple rappel de la position américaine pour arriver à un véritable dialogue sur le dossier du Proche-Orient ?

LE PRESIDENT.- Je suppose que la patience de M. Baker qui ne me semble pas être le point dominant de ce qui devrait être la conversation de cette journée, doit s’expliquer par le fait que son partenaire a amené quelques idées nouvelles, comme on dit "sur la table", -on dit cela entre diplomates-... Je vous ai conviés à venir à 18 heures, les chaînes de télévision m’ont dit : si vous pouvez attendre 18h15 au cas où il se passerait quelque chose de nouveau à Genève ; j’ai dit : bon, eh bien on attendra 18h15. Mais c’est bien parce que je pensais que la conversation serait terminée à 18 heures : tel n’est pas le cas. Je considère cela comme plutôt positif, dans le sens de mes propres souhaits pour la France et pour la paix, mais pas assez pour m’empêcher ou me gêner en quoi que ce soit de répondre à vos questions comme j’avais l’intention de le faire en tout état de cause.

QUESTION : M. le Président, vous avez toujours dit jusqu’à présent que vous ne voyez rien venir de positif du côté de l’Irak, diriez-vous la même chose aujourd’hui, et sinon, est-ce selon vous la fermeté qui commence à payer ?

LE PRESIDENT.- ...qui commence à payer ? J’aimerais bien que vous expliquiez cette formule. Je considère qu’il n’est pas venu de signes de l’Irak qui permettent de transformer la situation au point de passer du cycle infernal dans lequel l’invasion du Koweït l’a placé à une phase d’espérance et de réconciliation. Non le geste n’a pas été accompli.

QUESTION : M. le Président, à propos des rapports entre la France et les Etats-Unis depuis le début de cette crise, on a eu le sentiment qu’il y avait tout de même des petites divergences, et pourtant aujourd’hui le porte-parole de la Maison Blanche s’est félicité de l’attitude de la France. Alors, est-ce qu’on pourrait imaginer, mais ce n’est bien sûr qu’une supposition, qu’il y a eu dans cette affaire, ou qu’il y a en tout cas maintenant une certaine répartition des rôles, les Etats-Unis jouant la fermeté, et la France, grâce à sa diplomatie propre, grâce à ses amitiés arabes notamment, jouant une certaine ouverture ?

LE PRESIDENT.- La France joue la fermeté et l’ouverture. Elle joue la fermeté puisqu’elle vient de rappeler l’irréductibilité du délai et l’obligation faite à l’Irak de répondre à la question sur le Koweït. Et tant que cette heure n’est pas arrivée, elle joue l’ouverture, c’est-à-dire qu’elle s’adresse à l’Irak où elle crée les conditions pour que l’Irak puisse s’exprimer devant tel ou tel autre pays, ou devant les Nations Unies, pour adopter une position qui permette d’espérer échapper au conflit. Donc il ne peut pas y avoir d’opposition entre les Américains et nous sur ce point. Ce n’est pas le problème de la fermeté sur le principe d’une résolution que nous avons adoptée en commun qui pourrait nous séparer, c’est sur un certain nombre d’aspects qui ne sont pas secondaires mais particuliers, par exemple, vous savez bien que les Etats-Unis et la France n’ont pas du tout la même conception d’une éventuelle conférence internationale pour le règlement du conflit israélo-arabe. Je comprends aussi que les positions soient diverses aujourd’hui parce que les Etats-Unis ont toujours été hostiles à cette perspective et y consentir aujourd’hui pourrait leur apparaître -je parle pour eux sans en avoir reçu le mandat- comme une concession inacceptable à M. Saddam Hussein. Ce qu’ont demandé les Arabes depuis si longtemps serait consenti au chef de l’Etat qui vient d’en agresser un autre. Je comprends très bien cette position, mais elle ne doit pas entraîner une atténuation de la position de la France sur le même point. Alors que je réclame cette conférence internationale depuis six à sept ans, vais-je y renoncer au moment où elle serait utile, le plus utile ? Voilà ce qui explique une divergence de position qui n’est pas dissimulée, que j’ai rappelée hier encore à M. James Baker. Parmi les éléments qui doivent intervenir, notamment dans les positions des Douze, il y a le fait que cela a été dit récemment à Luxembourg, et cela sera redit, les Douze entendent intervenir, peser de leur poids, prendre l’initiative pour qu’une conférence internationale sur le conflit israélo-arabe puisse se tenir en 1991. Cela ne veut pas dire qu’elle aura lieu, puisqu’elle suppose l’accord aussi de ceux qui jusqu’ici s’y refusent, Israël, Etats-Unis d’Amérique, peut-être quelques autres, mais cela veut dire, en tout cas, que les pays européens s’engagent dans cette voie, ce qui ne peut que convenir à la France qui l’a demandée la première.

QUESTION : Vous avez dit dans votre préambule que vous êtes prêts à nous éclairer sur ce que vous ferez et sur ce que fera le gouvernement si la diplomatie devait échouer.

LE PRESIDENT.- Oui, nous allons venir naturellement à cette étape, il me semble que vos confrères et cons?urs qui sont intervenus jusqu’ici se sont attachés à savoir ce qui se passerait d’ici le 15 janvier. Si on a épuisé ce sujet, si on veut mettre un peu d’ordre dans notre conversation, on pourrait ensuite aborder le problème de ce qui se passerait en cas d’échec total de toute idée de négociation ou de conversation après le 15 janvier, quand même, parce qu’après tout vous en avez envie. A partir du 15 janvier, à minuit heure américaine, nous passerons dans une nouvelle époque de ce drame. Désormais, le conflit armé sera légitime, puisqu’il sera conforme aux décisions des Nations Unies qui seules ont autorité pour en décider. Dès lors, il convient que les pays qui sont déterminés à mettre en application cette résolution et à employer tous les moyens nécessaires pour qu’elle entre en ?uvre, prennent les dispositions militaires correspondantes. Dans une démocratie comme la France, il faudra prendre des dispositions parlementaires. Ces dispositions parlementaires devront autant que possible précéder non pas la mise en place d’un dispositif mais sa mise en action. Dans ce cas-là, je pense que le gouvernement devra se déclarer prêt à répondre à toute invitation des commissions des deux assemblées. Elles sont trois ces commissions, puisqu’il y en a deux d’une part -deux à l’Assemblée nationale : Affaires étrangères et Défense- et une au Sénat où ces deux activités sont confondues. Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense, le Premier ministre, le cas échéant, seront prêts à répondre à l’invitation qui leur serait faite de se rendre devant les commissions en question pour dérouler le processus militaire qui suivrait. Je suis prêt à prendre, dès le 16 janvier, le décret convoquant le Parlement en session extraordinaire. Laquelle session devrait avoir lieu le lendemain. Avec, pour ordre du jour, une déclaration du gouvernement, sans doute, une déclaration du Président de la République, et d’autre part un vote sur un texte. Le détail des procédures sera examiné par le gouvernement avec les Présidents des Assemblées que j’espère d’ailleurs recevoir moi-même, dès le 16 au matin. Ainsi le Parlement aura été saisi d’un problème qui touche la Nation tout entière et donc qui le concerne en premier chef. Vous ne m’avez pas posé de questions sur les opérations militaires proprement dites, je m’arrête donc là. Maintenant, je ne vous aurais peut-être pas répondu.

QUESTION : Justement sur les opérations militaires, M. le Président, depuis peu de temps la division Daguet est à son complet, il y a 11.000 soldats français là-bas en Arabie Saoudite, jusqu’où...

LE PRESIDENT.- 10.000 environ...

QUESTION : A quelques centaines près...

LE PRESIDENT.- Mieux vaut être précis pour cela.

QUESTION : Absolument. Jusqu’où, si les opérations devaient devenir importantes, graves et longues, si les combats devaient se prolonger, jusqu’où vous engageriez militairement la France d’une part et d’autre part, question subsidiaire, comment peut-on interpréter la présence de M. Pisani à Genève aujourd’hui ?

LE PRESIDENT.- Pour l’instant, il est dans son bureau de l’Elysée je vous signale. Il est peut-être parti depuis le début de notre conférence mais ce n’était pas prévu, donc peut-être avez-vous des informations que j’ignore, voulez-vous m’en donner la source... ou bien alors est-ce que j’ai une double vue ? J’ai déjà dit aux Français, et pas une fois, plusieurs fois, notamment lors de l’expression des v?ux dans la nuit du 31 décembre, que la France ferait tout ce qu’elle peut pour la paix, c’est son choix, mais dans le respect des décisions prises par les Nations Unies. Pardonnez-moi de le répéter une fois de plus, c’est essentiel. Si les conditions posées n’étaient pas réunies, c’est-à-dire l’évacuation du Koweït dans le délai voulu, alors la France remplirait son devoir, elle est membre permanent du Conseil de sécurité, elle a voté ses résolutions, il ne serait pas normal qu’elle se désengageât du texte qu’elle a adopté ou fait adopter. La France prendra donc part, avec le corps expéditionnaire, qui déjà se trouve en Arabie Saoudite. Vous dites : "jusqu’où ?" Et bien jusqu’au terme de sa mission et sa mission est celle de tous les pays qui s’engageront dans cette action : remplir le mandat des Nations Unies. Il ne s’agit pas d’organiser je ne sais quelle guerre de destruction contre l’Irak, il s’agit de libérer le Koweït. Bien entendu, la libération du Koweït, en raison des fortes défenses que cela représente du côté irakien, signifie que tout ce qui se trouve alentour, y compris en Irak, court le risque d’être atteint. Mais ceci est considéré comme des opérations de libération du Koweït. Telle est la mission à laquelle la France participera. Je sais la gravité de ce que je dis là et je n’en prends pas la responsabilité sans mûre réflexion et je ne le fais pas non plus par impulsion. C’est parce que je pense que c’est l’intérêt supérieur de la France et de la paix qui est en jeu. D’autres ont dit, en d’autres circonstances, que : "se réfugier quelquefois dans le déshonneur pour avoir la paix apportait finalement le déshonneur et la guerre". Je pense que la guerre éclaterait de toute façon même en cas d’absence des nations qui ont reçu mandat des Nations Unies pour traduire en actes ce qui a été décidé en droit. Je le sais, c’est une décision grave qui vaut déjà des inquiétudes, des interrogations, des protestations. Mais je prends cette responsabilité devant le pays parce que je pense que c’est l’intérêt de la France. C’est l’intérêt de la France que d’être partie prenante au règlement qui de toute manière suivra celui des affaires du Proche et du Moyen-Orient. La France ne peut pas être absente de cette partie du monde. Elle ne pourrait pas non plus justifier sa présence permanente au Conseil de sécurité. Elle est l’une des grandes puissances du monde et doit être digne de ses charges et notre peuple le comprendra mais, bien entendu, revenons à notre point de départ, notre choix tant qu’il existe est celui de la paix. Il sera joué jusqu’au 16 janvier au matin et après nous serons toujours à l’écoute afin de saisir toute occasion qui permettrait de mettre un terme rapide au conflit que personne ne souhaite -en tout cas en France- mais qui peut correspondre à un devoir national et international.

QUESTION : M. le Président, vous vous êtes efforcé de démontrer que le message des Occidentaux à Saddam Hussein, s’il avait été brouillé ou s’il était apparu flou ces derniers temps, n’était pas de votre fait...

LE PRESIDENT.- ...brouillé aux oreilles de qui ? Il n’a jamais été brouillé ce message.

QUESTION : Il apparaissait plus flou, moins déterminé de la part des Européens, il y a quelques heures et quelques jours, que ce n’était le cas cet été. Mais ce n’était pas toute ma question, tous les signes comptent. Parmi ces signes, vous en donnez certains mais il y en a d’autres ce soir. Il y a un signe qui intéresse beaucoup les gens, c’est celui de la cohésion gouvernementale. Or, sont venus à ces dialogues que vous avez régulièrement avec la presse, des ministres et vous nous avez dit par le passé que venaient ceux qui le voulaient. Aujourd’hui, le Premier ministre Michel Rocard est là, le ministre des Affaires étrangères, M. Dumas, est là, le ministre de la Défense, M. Chevènement , est là et M. Bianco, qui revient d’une mission à Alger, est là aussi.

LE PRESIDENT.- Mais alors qui est-ce qui n’est pas là ?

(rires dans la salle)

QUESTION : Est-ce qu’on peut vous demander ce que cela signifie ?

LE PRESIDENT.- Mais il est vraisemblable que vous me poseriez la même question s’ils n’étaient pas là. Alors moi je n’en sors pas... Qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde ? Ils sont là, ils ne sont pas là... Bon, ils sont là et je les en remercie. C’est tout, la cohésion des forces engagées par le soutien de la résolution des Nations Unies ne peut pas être considérée comme "brouillée", selon votre expression, ou "floue", dès lors qu’il y a des interprétations différentes, non pas sur l’objectif irréductible du 15 janvier et de la libération du Koweït mais sur la manière d’aborder négociations ou conversations. Il n’y a pas de raison de considérer que les pays en question, notamment la France, ont aliéné leur propre diplomatie, leur volonté nationale et leurs intérêts au bénéfice d’un pays aussi ami qu’il l’est de la France, je veux dire les Etats-Unis d’Amérique. Nous avons notre démarche pour la paix, telle que nous la concevons et nous ne concevons pas la même démarche lorsqu’il s’agit des conférences internationales dont je viens de parler ; par exemple et ce n’est qu’un exemple : personne n’a jamais décidé qu’à partir de maintenant un seul pays déciderait pour tous. Cependant, nous sommes d’accord pour développer, à l’égard de l’Irak, le même thème, la même obligation, le même impératif ; c’est celui que je vous répète depuis le début de cette soirée et depuis des mois et des mois. Voilà, c’est tout, nous en avons débattu avec M. Baker hier d’une façon très confiante, très cordiale. J’ai précisé ce point parmi quelques autres, de façon tout à fait carrée et je ne m’en sentais aucunement gêné. M. Baker l’a parfaitement compris.

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