Palais
de l'Elysée, le 16 janvier 1991 à 20h
C'est
avec un ton grave que François Mitterrand s'adresse à
la Nation, en direct sur toutes les chaînes de télévision
françaises. Pour la première fois, le chef de l'Etat
parle de guerre aux Français...
Françaises,
Français, mes chers Compatriotes,
Lorsque je vous ai adressé mes voeux le 31 décembre,
je ne vous ai pas caché la gravité de la situation
créée par le refus obstiné de l’Irak
d’évacuer le Koweït et de respecter le droit international
qu’il avait approuvé, comme nous, en signant la Charte
des Nations Unies. Je vous ai dit alors quels étaient les
devoirs de la France, quelles propositions nous avions faites en
son nom, notre action au Conseil de sécurité et ailleurs,
pourquoi nous avions appliqué les résolutions des
Nations Unies, notamment par l’envoi d’une force armée
dans la région du Golfe. Je vous ai dit aussi que rien ne
serait négligé par la France pour tenter de sauver
la paix.
Or,
depuis ce matin, la crise internationale est entrée dans
une phase décisive. Le délai accordé par les
Nations Unies à la réflexion, et autant que possible
au dialogue entre ceux qui pouvaient infléchir le destin
est maintenant dépassé. Sauf évènement
imprévu, donc improbable, les armes vont parler. Comme je
m’y étais engagé, tout ce qu’il était
raisonnable d’entreprendre pour la paix l’a été.
Hier encore, tout le long de la journée nous sont arrivés
de partout, de la plupart des pays d’Europe, du monde arabe,
de l’immense majorité des pays neutres, de plusieurs
pays d’Amérique, les encouragements, les soutiens pour
notre ultime initiative auprès des Nations Unies, appelée
par beaucoup le "plan de paix français". Hélas
! Comme je l’ai déclaré, il y a quelques heures,
dans mon message au Parlement, pas un mot, pas un signe n’est
venu de l’Irak qui aurait permis d’espérer que
la paix, au bout du compte, l’emporterait.
Puisqu’il
en est ainsi, je vous demande, mes chers compatriotes, de faire
bloc autour de nos soldats et pour les idéaux qui inspirent
notre action. Il y faudra du courage, de la clairvoyance, de la
persévérance.
Du
courage, cela va de soi. La guerre exige beaucoup d’un peuple,
nous le savons d’expérience. Même si n’est
pas en jeu notre existence nationale, même si les 12 000 des
nôtres qui prendront part sur le terrain aux opérations
militaires ont choisi le métier des armes, c’est la
nation tout entière qui doit se sentir engagée, solidaire
de leurs efforts et de leurs sacrifices. C’est la France tout
entière qui doit les entourer de sa confiance et de son affection.
De
la clairvoyance. Les résolutions adoptées par les
Nations Unies, que nous avons votées, représentant
à mes yeux la garantie suprême d’un ordre mondial
fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
De ce droit, nous avons le plus grand besoin. Nos libertés,
notre indépendance, notre sécurité sont à
ce prix. Il faut que vous en soyez sûr : protéger le
droit dans le Golfe, au Moyen-Orient, aussi loin de nous qu’ils
semblent sur une carte de géographie, c’est protéger
notre pays. Ne laissons jamais à la loi du plus fort le soin
de gouverner le monde. Un jour ou l’autre elle s’installerait
chez nous.
De
la persévérance. Nous traverserons cette épreuve
sans haine pour personne, sans jamais perdre espoir, sans oublier
que viendra nécessairement le jour où les peuples
aujourd’hui divisés devront se retrouver en gardant
toujours à l’esprit que l’ordre des nations l’emportera
sur la violence.
A
quelque moment que ce soit nous répondrons à tout
appel, nous saisirons toute occasion qui rendra ses chances à
la paix dans le respect du droit. Comme elle aura été
présente dans la guerre, la France, écoutée,
respectée de tous côtés, je vous l’assure,
sera présente au rendez-vous quand le dialogue reprendra
pour mettre, enfin, un terme aux déchirements du Moyen-Orient.
Nous savons bien que, le Koweït évacué, rien
ne sera réglé au fond tant qu’une conférence
internationale ne se sera pas attachée à résoudre
par la négociation les graves problèmes de cette région,
c’est-à-dire tout ce qui tourne autour du conflit israélo-arabe,
sans oublier le drame libanais et les Palestiniens.
Tout
repose désormais sur les soldats des vingt-neuf nations alliées
dont les forces sont en place dans le Golfe et pour ce qui nous
concerne, sur notre cohésion nationale. La patrie fera face
aux heures difficiles qui s’annoncent en préservant
son unité.
Je
compte sur vous tous !
Vive
la République !
Vive
la France !
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