Palais
de l'Elysée, le 3 mars 1991 à 20h
En direct sur TF1,
Antenne 2 et La Cinq, François Mitterrand revient
sur le rôle de l'armée française dans la guerre
du Golfe.
Mes chers compatriotes,
En décidant
que la France appliquerait, fut-ce au prix d’une guerre, les
résolutions votées par le Conseil de sécurité
des Nations Unies, pour la défense du droit violé
par l’Irak au Moyen-Orient, je savais que notre pays courrait
de grands risques. Risques à l’extérieur, où
nous aurions à connantre l’hostilité, ou du
moins l’incompréhension, de larges couches du monde
arabe, risques à l’intérieur où pèserait
sur nous la menace du terrorisme et où l’entrée
en guerre pouvait raviver nos propres divisions, risques enfin,
à l’évidence, sur le champ de bataille où
douze mille des nôtres allaient combattre. Ce choix, nous
l’avons fait cependant, et je vous en ai, depuis le 2 août
dernier, exposé souvent les raisons : quand le droit et la
liberté sont en danger, la France est de leur côté,
et se trouve auprès de ceux qui ont choisi le même
camp, lorsque, pour la première fois dans l’histoire
du monde, la société internationale garantit le droit
des peuples à disposer d’eux-mêmes et punit l’agresseur,
la France ne peut pas déserter. Alors que l’épreuve
s’achève, en moins de six semaines, et de quelle façon
! Je veux exprimer la gratitude de la Nation : au Parlement qui
nous a accordé massivement sa confiance. Au commandement
allié dont les plans se sont révélés
si perspicaces. A nos armées et à leurs chefs qui,
sur mer, sur terre et dans les airs ont fait l’éclatante
démonstration de leur valeur ; la division DAGUET, par exemple,
a réussi une manoeuvre qui a marqué par son audace
; nos avions sont revenus depuis de plus de mille missions sans
une perte. Aux familles de nos soldats, celles qui souffrent encore
de l’éloignement après tant d’inquiétude,
celles qui entourent un blessé et celles qui pleurent pour
toujours. Je remercie les communautés musulmane et juive
de France qui ont donné l’exemple de la sagesse et
du sang froid. Et je vous remercie, vous qui m’écoutez
et qui, dans votre immense majorité, avez compris, soutenu
notre action. Mais où en sommes-nous exactement sur le terrain
? Nos troupes occuperont leurs positions au Koweit et en Irak jusqu’à
la mise en oeuvre du cessez-le-feu définitif.
Le Conseil de sécurité a décidé aujourd’hui
même que l’Irak devait renoncer publiquement à
ses visées, libérer les prisonniers, aider à
identifier les champs de mine et d’explosifs et les lieux
où sont dissimulées les armes chimiques et biologiques.
Réparer enfin le dommage causé au Koweit. Après
quoi, je pense que plusieurs de nos régiments seront de retour
en avril, tandis que les autres reviendront dans le courant du mois
de mai. Les missions de la Marine seront, d’ici là
précisées. Nos forces auront quitté la région
du Golfe avant l’automne. Et maintenant, mes chers compatriotes,
regardons l’avenir. Nous avons à tirer, pour nous-mêmes,
les leçons de l’expérience militaire et nous
avons à rechercher, avec les autres, les moyens d’assurer,
au Moyen-Orient -et ailleurs- les bases d’une paix juste et
durable. Les leçons de notre expérience militaire,
cela veut dire que tout en constatant la qualité de nos matériels,
nous devrons les moderniser, comme cela est prévu, et les
adapter constamment à l’évolution des techniques.
Faut-il pour autant changer de stratégie ? Non, la force
de dissuasion nucléaire en est et en restera le pivot. Quant
à la force d’action rapide et à la Marine de
haute-mer, la guerre du Golfe en a démontré la remarquable
utilité. S’il s’agit de protéger le territoire
national et de contribuer à la défense de l’Europe,
la participation de tous les citoyens, ce qu’on appelle la
conscription, me parant nécessaire. S’il s’agit
d’opérations lointaines, nos soldats professionnels
en ont la compétence et la mobilité. Un débat
sur l’équilibre interne de nos armées, sur leur
composition, sur leur nature s’impose. Je souhaite qu’il
s’engage, dès cette année, au Parlement. Quant
à la recherche d’une paix juste, répétons
aujourd’hui comme hier, que la libération du Koweit
n’a réglé qu’un problème parmi
d’autres. Des engagements ont été pris, des
espoirs sont nés. Il faut y répondre. Deux poids et
deux mesures, mais ce serait assassiner le droit international naissant
! Les Nations-Unies qui ont autorisé le recours à
la force ont le devoir d’organiser le retour à la paix.
J’ai déjà eu l’occasion d’affirmer
les vues de la France en ce domaine. Qu’a-t-elle voulu en
préconisant la tenue d’une ou de plusieurs conférences
internationales, sous l’égide des Nations Unies, sinon
favoriser partout le dialogue ? Comment réconcilier des peuples
qui ne se parlent pas ? Sauf à souscrire à la loi
du plus fort ? C’est ainsi qu’Israël doit réellement
disposer de frontières sûres et reconnues et des moyens
de sa sécurité, les Palestiniens posséder en
tant que peuple leur identité, leur patrie, leur Etat, le
Liban exercer librement sa souveraineté et je n’oublie
ni l’intégrité de l’Irak, ni les aspirations
de son peuple.
Est-ce trop demander ? Cela ne vaudrait-il pas mieux que la guerre
perpétuelle, la mort aux aguets, l’angoisse des jours
et des nuits, le risque permanent d’une conflagration générale
? Il me semble que le rôle joué par les Nations Unies
durant cette crise justifie qu’on leur fasse confiance et
qu’elles sauront restaurer ou plutôt instaurer les mécanismes
de conciliation et d’arbitrage qui s’imposent pour la
prévention et la solution des conflits. D’autres problèmes
au demeurant subsisteront dans la région. Droits des minorités,
comme celle des Kurdes, protection de l’environnement, partage
des ressources, contrôle mutuel des armements, et ce dernier
point concerne aussi bien les pays qui vendent des armes que ceux
qui les achètent. Dans cette perspective, pourquoi ne pas
envisager de réunir pour la première fois depuis sa
création, le Conseil de sécurité des Nations
Unies, au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement. Cela
n’a pas été possible tant que les alliés
de la seconde guerre mondiale sont restés désunis
dans la paix. Eh bien c’est désormais à notre
portée.
Mes chers compatriotes, j’en ai fini. Je déclare avec
fierté que la France a tenu son rôle et son rang. Elle
a de grandes échéances devant elle. J’attends
qu’elle montre la même résolution et dans le
cadre d’une démocratie scrupuleuse le même élan.
Vive la République, vive la France.
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